départ au lof sous spi
Apprendre à naviguer

Quand faut-il prendre un ris?


« Si tu choques t’es un lâche? » voilà la question qui me trottait dans la tête en rentrant dans la rade le dernier week-end. La brise thermique aidée du vent de Nord-est s’engouffrait dans la vallée de l’Elorn et déboulait sur nous à plus de 25 noeuds. Le temps était magnifique en ce dimanche et le plan d’eau couvert de voiles.

A bord de notre petit Oceanis 31 nous avions déjà décidé de prendre un 2e ris et quelques tours d’enrouleur, louvoyant vaillamment au près. Pourtant autour de nous, la majorité des voiliers gardaient toute la toile, vautrés sur la tranche, la barre à 45 degrés.

Une rafale plus forte que les autres emporta une bonne partie de ces intrépides au lof. Qu’importe! On abat et ça repart jusqu’à la prochaine risée. Là je me suis dit qu’il fallait que je rédige un petit tuto pour les lecteurs du blog.

A quoi sert-il de prendre un ris?

Passé une certaine force de vent, votre voilier n’avancera pas plus vite en portant le maximum de toile. Il est limité en vitesse notamment par la forme de sa coque et par sa longueur.

Préserver le matériel

La force qui s’exerce dans les voiles et sur le gréement n’est pas proportionnelle à la vitesse du vent. Elle est proportionnelle au carré de sa vitesse. Quand le vent monte de 10 à 20 noeuds, la vitesse du vent double tandis que la force exercée sur le matériel est multipliée par quatre.

Autant vous dire que même si vous parvenez à maintenir la route, le matériel lui, risque de souffrir. Les voiles se creuseront, les coutures seront très sollicitées, les fixations des haubans encaisseront les coups de rappel à chaque départ au lof.

Au portant, à cause du roulis et de l’instabilité du bateau vous risquez un empannage sauvage, susceptible de blesser une tête innocente ou même de provoquer la rupture d’un hauban suivi à coup sûr d’un démâtage.

photo Gilbert – Flickr – (ainsi que la photo en tête de l’article)

Garder un cap et une vitesse suffisants

Au près quand votre voilier se vautre, la dérive augmente tandis que la vitesse diminue. La pelle du gouvernail ramené au vent freine le bateau. Vous n’êtes pas près de rentrer au port. Pire: vous raterez sûrement l’heure de l’apéro, voire celle du dîner.

Quant au confort, faut-il vraiment en parler?

La gîte excessive, la brutalité des mouvements, les paquets de mer sur le pont auront raison de vos équipiers les moins aguerris. Relisez donc les 10 raisons pour lesquelles votre femme n’aime pas le bateau!

En traversée vous vous épuiserez et vous rendrez très difficile la vie à bord. Par ailleurs le pilote travaillera énormément: il s’usera prématurément et consommera beaucoup d’électricité.

Les symptômes du voilier surtoilé

Un jour un lecteur m’a demandé un coaching parce qu’il trouvait que son voilier était décidément trop gitard et dur à la barre.

Il s’agissait d’un petit bateau des années 70 de 7m. un Challenger scout qu’il venait d’acquérir. A l’écouter son bateau avait des performances dignes d’un mini-transat moderne, montant à plus de 7 noeuds au près serré. Le tout par 20 noeuds de vent et sans réduire la toile!

J’en ai déduit qu’avec cette vitesse et ce vent il devait naviguer plutôt au travers. Si la barre était si dure, et la gîte prononcée, c’est que bien évidemment il portait beaucoup trop de toile.

Voici quelques indices, en plus de ceux précédemment cités qui vous indiquent qu’il est temps de réduire:

  • Vous commencez à craindre que quelque chose ne casse,
  • Les forces en jeu vous dépassent,
  • Vous craignez régulièrement de perdre le contrôle du bateau

navigation sous 2 ris

 

Certains plaisanciers éprouvent des sensations tout à fait inverses dans ces conditions. L’adrénaline monte et leur procure un plaisir intense. Ils tirent autant qu’ils peuvent sur le matériel. Ils ont enfin l’impression de faire du sport ou de vivre une aventure.

Dans ce cas regardez bien le loch ou le gps. Vous verrez que vos performances sont très discutables au regard des efforts que vous déployez.

Prenez garde cependant, surtout quand vous naviguez au près: des réglages de voile inadaptés ou un mauvais barreur peuvent tout à fait produire les mêmes effets sans que votre voilier ne soit réellement surtoilé. Pour y remédier jeter un oeil à cet article 3 repères efficaces pour le réglage de voile

Un dernier élément pour vous repérer: l’anémomètre

Généralement vous commencerez à réduire le génois aux alentours de 15 noeuds de vent, du moins aux allures de près ou de travers. Vous prendrez la première bosse de ris dans la grand voile vers 20 noeuds puis à nouveau réduirez le génois et envisagerez de prendre un second ris aux alentours de 25 noeuds établis.

Au portant on s’autorise à porter un peu plus de toile. Tout ceci est approximatif et dépend beaucoup des carènes de l’état des voiles et de l’âge du capitaine.

Dans quel ordre réduire les voiles?

Maintenant que vous êtes convaincu de porter trop de toile, allez-vous prendre un ris ou enrouler un peu de génois?

Voici quelques principes aérodynamiques que j’ai volontairement simplifiés,  pour vous aider à prendre la meilleure décision.

Préserver la dynamique d’écoulement entre le génois et la grand-voile

Aux allures de près, un recouvrement, même léger de la grand-voile par le génois favorise l’écoulement laminaire de l’air. Il peut donc être donc intéressant de ne pas trop réduire le génois pour conserver cet avantage aussi longtemps que la force du vent le permet. L’idéal sera alors de rouler le génois jusqu’à la limite du recouvrement, et de ne prendre un ris dans la grand-voile qu’ensuite.

Ceci devrait bien aider les propriétaires de voiliers anciens qui possèdent souvent des génois à fort recouvrement et des grands-voiles relativement petites.

A partir du travers cette dynamique entre les deux voiles disparaît. Si vous naviguez au grand largue ou au vent arrière pour une longue durée, par vent fort vous pouvez même affaler la grand-voile. Vous limiterez ainsi le roulis et éliminerez les risques d’empannage. C’est d’ailleurs ce que font une bonne partie des voiliers qui traversent l’océan en suivant les alizés.

prendre un ris

Le génois fait abattre, la grand-voile fait loffer

Situé plus en avant du centre de gravité du voilier, le génois tend à faire abattre le voilier. Pour la grand-voile c’est plutôt l’inverse. L’idéal étant d’aligner plus ou moins le centre de voilure avec le centre de carène. Vous ne me suivez pas? Je vous conseille la lecture de ce petit article tout à fait éclairant sur l’équilibre sous voiles.

Quoiqu’il en soit vous pourrez constater cet effet à la barre. Un voilier trop ardent, c’est à dire qui a tendance à lofer, souffre souvent d’un déséquilibre entre la surface de ses deux voiles: trop de grand voile ou pas assez de génois.

Pour information: si vous reprenez du pataras vous augmenterez également la tendance de votre bateau à lofer. Ce réglage est intéressant au près car il améliore le cap. Par contre il vaut mieux le relâcher au portant. Enfin, si vous constatez que dans du vent régulier votre voilier, alors qu’il n’est pas surtoilé, demeure ardent au près, cela signifie que vous avez trop repris de pataras.

Donc, si malgré une réduction de voilure visant à préserver le premier principe (le recouvrement de la GV par le génois) votre bateau est inhabituellement ardent, c’est bien qu’il est temps d’ariser la grand-voile…

La facilité contre la performance?

Les copains qui étaient sur l’eau sous cette bonne brise thermique ne savaient-ils donc pas qu’ils étaient surtoilés?

Pour une partie d’entre eux, c’est bien possible.

A la vérité, quand il ne reste plus qu’une heure de navigation avant d’atteindre le port, beaucoup d’entre nous avons la flemme de réduire la grand-voile.

Mais d’autres plaisanciers utilisent une technique de régatier pour réguler la pression dans les surventes. Plutôt que de prendre un ris, il est en effet possible de choquer le chariot d’écoute dans les risées et de le reprendre ensuite, ou de laisser carrément faseyer la grand-voile. N’en abusez pas car le tissu n’apprécie pas trop ce traitement à long terme.

Si le vent forcit encore on peut même choquer l’écoute de grand-voile, voire celle du génois et les reprendre régulièrement pour accompagner les variations du vent et attaquer le clapot. Mais cette dernière technique demande une bonne coordination avec le barreur et un peu d’expérience.

Voilà, vous savez maintenant comment préserver vos voiles, vos performances et le confort de vos équipiers. A vous de tester tout ceci sur l’eau!

 

 


20 Comments

  • far

    pour ma situation prendre un ris est une situation normale de bon sens !de plus mon voilier le » demande  » obligatoirement devient trop ardent

    • Katell

      j’adore cette expression « mon voilier le demande »! Quand on commence à personnifier son bateau c’est qu’on a la voile dans la peau 😉

  • Norbert

    Merci Katell.
    Je disais toujours « On prend alternativement 1 ris puis des tours au génois »
    J’ai découvert la notion du recouvrement. Je m’en souviendrai.

      • Norbert

        Tu répètes certes, mais tu répètes bien ….
        A bien y réfléchir, je navigue sur un First 310 qui est très ardent. Commencer par réduire un peu le génois au lieu de prendre un ris va le rendre encore plus ardent, donc plus difficile à tenir.
        Ne vaut-il pas mieux que je continue à prendre un ris d’abord (et peut-être en même temps supprimer le recouvrement) ???

          • Thierry Galland

            Bonjour Katel
            Peut-être faudrait-il évoquer aussi les conditions de mer ? Ce paramètre non négligeable mériterait d’être développé. Jajoute aussi qu’en approche d’un point à virer, les manœuvres fastidieuses peuvent être retardées si les allures sont à modifier à terme..

  • Linda

    Merci Katell, je lis vos (tes?) articles avec intérêt et j’en apprends plein. Qu’est-ce qu’ils sont bien écrit et avec un bel humour, un plaisir toujours. Merci encore.

      • Roze

        Bonjour Katell
        Choquer le chariot de GV pour absorber la risée, oui entendu parlé mais je ne le pratique pas car je vois mal le principe.
        Quand on choque le chariot, l ecoute de GV conserve sa remontée plus ou moins a la verticale vers la bome et joue le role de halebas raidissant la chute de la GV et interdisant celle ci de se vider par le haut pour évacuer la risée.
        Perso (halebas bien relaché) je ne touche pas au chariot, je choque la GV, ma bome se lève , la chute s ouvre et une bonne partie de la risée est évacuée sans transmission de puissance.
        Si vous pouviez m expliquer, merci.
        Cdlt

        • Katell

          Bonjour Gilbert, l’avantage de jouer sur le chariot sans toucher à l’écoute est d’évacuer le surplus de puissance sans toucher au vrillage de la GV. Concrètement au lieu de gîter à l’excès et donc de ralentir, votre voilier va conserver son angle de gite optimal et accélérer dans la risée. De plus votre GV ne faseyera pas ou très peu ce qui évite de l’abimer. C’est un réglage « fin » , qui ne fonctionne plus si vous êtes trop toilé. Dans ce cas vous devrez effectivement choquer la GV mais d’une part les filets d’air décrocheront et vous perdrez beaucoup de vitesse, d’autre part vous userez votre matériel prématurément, mieux vaut réduire alors. Pour vous en rendre compte, essayez et voyez le résultat. Après il faut peut-être optimiser vos réglages de chariot pour qu’ils soient faciles à modifier avec l’écoute sous tension.

  • Thibaut

    Hello Katell.
    Super ton blog et les sujets!
    Je suis par contre un peu surpris de ce que tu écris sur le pataras. L’objectif premier du pataras est bien d’ouvrir la chutte de la GV en son haut et de cintrer le mat en son milieu. Deux effets: on évacue la surpuissance et on applatit la voile. Le résultat sera une réduction de puissance et donc de la gîte.
    La première chose que l’on devrait même faire en cas de survente, avant même de lâcher du chariot, serait de prendre du pataras. Ce qui n’est pas évident à moins d’avoir un retour au barreur ou au régleur de voile, je l’admet.
    Et donc avant de prendre un ris on a pris du pataras, de la bordure, de la drisse / cunningham et lâcher un peu de chariot.
    Si l’effet de la voile avant a théoriquement un effet d’abattement (aucune idée si ça se dit), il ne faut pas oublier que la puissance de cette voile fait giter le bateau et que la gîte, de par la forme de la carène va rendre un peu plus ardent le bateau.
    De mon côté j’arise très rapidement en solo et je gagne facilement o,5 à 1noeud.

    • Katell

      Merci Thibaut de tes précisions, mais nous ne parlons pas de la même chose.
      Si tu donnes trop de quête à ton mât, le bateau deviendra plus ardent. Et pour augmenter la quête du mât il faut reprendre du pataras. Dix mille articles sur le web, et ta propre expérience j’en suis sûre, confirment ce fait quasi universel.
      Toi tu proposes d’aplatir la voile et de l’ouvrir pour réduire la puissance avant de réduire. Bien sûr, mais là si tu lis le début de l’article avec attention, tu vois que je m’adresse plutôt à des débutants qui ont besoin de repérer quand il est temps de réduire la toile plutôt que de défoncer leurs voiles. Trop d’information dans un seul tuto tue l’apprentissage. Il faut y aller progressivement. Déjà parler ici du pataras c’était presque trop. D’autant que ces derniers sur les bateaux de croisière ne sont pas toujours réglables.

  • Nunez

    Oui exact Katell, pour l apprentissage, et pour savoir quand soulager son bateau , trop tôt pour parler du pataras , ne faire qu un avec son bateau, sentir quand il souffre , trop de voile , il lofe, le bareur souffre lui aussi pour garder son cap, c est que a ce moment là , tu as raté une séquence dans ton évaluation … Merci Katell

  • REGIS

    bonjour Katell et bravo pour ce nouveau Tuto
    Parfaitement d’accord sur l’échelonnement de la prise de riz en deuxième et enroulement du génois en premier lieu.
    Je n’ai pas de chariot de GV sur mon DUFOUR GIB SEA 33, ni de pataras réglable, mais seulement un hale-bas de bôme, que j’utilise rarement sauf pour creuser la GV aux allures du portant. Qu’en est-il au près ?
    Merci pour ton retour
    Régis

    • Katell

      Bonjour Regis, vous pouvez utiliser le hale-bas de bôme au près pour empêcher la bôme de monter trop quand vous devez choquer parce qu’une risée arrive, ou si vous naviguez en surpuissance avec la GV légèrement choquée. Faites des tests pour voir l’effet produit sur la forme de la GV, le cap et la vitesse. Mais c’est vrai que vos possibilités sont réduites. Par contre si vous êtes vraiment surtoilé, inutile de contraindre trop le hale-bas, ça risque d’affaiblir la bôme, mieux vaut réduire la GV.

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