Pour votre première traversée de l’Atlantique : naviguez jusqu’aux Açores!
Comment satisfaire nos rêves d’aventures maritimes, effectuer une traversée de l’atlantique sans prendre d’année sabbatique ?
Vivre une traversée océanique. Goûter la chair savoureuse de la dorade coryphène. Croiser avec les cachalots. Plonger dans une eau turquoise au beau milieu des sars, des thons, des mérous. Goûter à la langueur insulaire. Randonner entre les volcans éteints et les massifs d’hortensias, le bleu des agapanthes et le vermillon des crocosmias. Participer aux dizaines de pardons, fêtes de la mer et régates de baleinières. Ou boire un verre chez Peter à Horta avec vos semblables: baroudeurs des mers sirotant leurs bières au carrefour de l’Atlantique.
Avec 3 semaines de vacances et un voilier bien préparé, vous pouvez réaliser une telle croisière. Où donc? En filant vers l’archipel des Açores, à 1200 milles nautiques de Brest. Bien sûr, si vous n’avez que trois semaines de congé et que vous voulez visiter les îles, il vous faudra deux équipages, un pour l’aller, un pour le retour.
Je vous écris ici en connaissance de cause. Les Açores sont ma destination préférée en navigation estivale. Si cela était possible je m’y rendrais beaucoup plus souvent.J’ai déjà eu la chance d’effectuer au moins 10 traversées entre Brest et les Açores. En solitaire, en équipage, en aller-retour, en retour ou en aller simple, à bord de voiliers de 32 à 43 pieds, chacune de ces traversées était différente. Elles m’ont toutes fait progresser dans ma pratique de la navigation à la voile. Je suis à peu près certaine que la onzième m’apportera encore quelque chose de nouveau.
Comment traverser l’Atlantique depuis la Bretagne vers les Açores?
La traversée de l’Atlantique vers les Açores de Brest à Horta compte 1200 milles nautiques. A titre de comparaison, une transatlantique entre Mindelo au Cap-Vert et la Martinique représente environ 2100 milles marins.
Il peut donc paraître plus facile de se rendre aux Açores qu’aux Antilles.
Or ce n’est généralement pas le cas. Les voiliers qui traversent l’Atlantique ont tout intérêt à prendre la route des Alizés. Ils descendent depuis l’Europe jusqu’aux Canaries, font escale aux îles du Cap-Vert avant de gagner l’arc antillais. Cette navigation se déroule au portant dans un vent médium et présente peu de difficultés météorologiques, à part peut-être les orages du pot-au -noir, si l’on part à la bonne saison (entre les mois d’octobre et de janvier).
En revanche la traversée de l’Atlantique vers les Açores ne suit pas la route des alizés.
Conditions météorologiques
Si le régime général des vents est plutôt de nord-ouest le printemps et l’été, il arrive que des dépressions se forment à ces latitudes. A l’inverse quand le fameux anticyclone des Açores est bien établi, il peut projeter une dorsale jusqu’à la Bretagne, d’où le vent sera totalement absent… Cela m’est arrivé lors ma dernière traversée, nous avons navigué 150 heures au moteur, un record! Et pourtant je n’ai jamais autant envoyé et affalé un spi lors dans un si court laps de temps. Nous avons profité de chaque filet d’air, envoyant le spi même la nuit, comme les coureurs. Mais il y en avait vraiment très peu. Avec de meilleures voiles de petit temps nous aurions sans doute économisé quelques heures de moteur.
Au plan météorologique cette traversée gagne donc à être bien préparée, idéalement à l’aide d’un logiciel de routage. Pour vous donner une idée de la variabilité de ces conditions, sur le même trajet retour ma plus longue traversée à duré 12 jours et la plus courte 6 jours et demie. Certes je naviguais dans ces deux circonstances sur des bateaux différents, mais certainement pas au point de doubler ma vitesse moyenne!
Sans logiciel de routage, ni connexion satellite à bord, vous pouvez aussi prendre des copies d’écran des prévisions à dix jours de Windy sur votre téléphone. C’est très simple, vous aurez ainsi les prévisions à portée de main pendant la traversée.
Durée de la traversée
La majorité des voiliers pourront tabler sur une dizaine de jours de traversée de l’Atlantique en moyenne. Certaines années une bonne partie du trajet risque de s’effectuer au moteur, à moins que vous n’ayez des voiles légères très performantes. A partir du mois d’août le risque de mauvais temps entre les Açores et la Bretagne augmente considérablement. En calculant bien, vous pourriez revenir en surfant sur un front chaud en profitant de vents soutenus de sud-ouest à ouest. Mais cela suppose que vous ayez un bon potentiel de vitesse…
Préparation du bateau
Pour vous rendre aux Açores, votre voilier devra être préparé comme pour une transat classique. Si vous naviguez aux beaux jours, de mi-mars à mi-septembre, vous n’avez pas de raison de vous préparer comme si vous deviez affronter les quarantièmes. Sachez cependant qu’en automne et en hiver les cyclones en provenance des Caraïbes et les fortes tempêtes repoussent l’anticyclone vers le sud et lèvent des mers absolument infernales.
Sécurité
La liste d’armement hauturier obligatoire doit absolument être respectée. Soignez vos lignes de vie car vous en aurez besoin pour manœuvrer. Prenez soin des dispositifs de prévention et de récupération de l’homme à la mer. Je vous invite à vous reporter à l’article comment assurer votre sécurité en mer pour bien vous préparer à la majorité des éventualités. Pensez à briefer l’équipage sur toutes les questions de sécurité: emplacement du matériel, règles de sécurité, procédures de détresse et d’évacuation.
Équipement personnel
Pour une traversée vers les Açores vous aurez besoin d’une veste et d’un pantalon de quart hauturiers. Selon la saison vous pourriez avoir froid la nuit, donc ne négligez pas les sous-couches thermiques et les polaires. En été une fois sorti du golfe de Gascogne la température est vite agréable, s’il n’y a pas de mauvais temps. Mais vous n’en rencontrerez pas parce que vous aurez pris en compte la météo avant de partir. N’oubliez pas la crème solaire 🙂
Prévoyez également une bonne lampe frontale avec éclairage rouge et blanc. Des bouchons d’oreille vous seront utiles pour dormir quand vous serez hors quart ou si vous naviguez longtemps au moteur. Chacun devrait également avoir un gilet-harnais et une longe à son nom.
Avitaillement
En fonction de la vitesse moyenne de votre bateau vous pourrez estimer le temps passé en mer. Je vous conseille de prévoir 30% de vivres en plus, et 50% pour l’eau potable. Soyez très généreux sur les quantités de pâtes, riz, oeufs.
Pour ma part je compte une bouteille d’eau minérale (1,5l) par jour et par personne, et 4 litres/personne minimum d’eau des réservoirs pour la cuisine et l’hygiène. A condition de faire la vaisselle à l’eau de mer et de ne pas prendre de douche sous pression évidemment. Donc pour 10 jours de mer: 10 +5 (marge de sécurité) bouteilles d’eau minérale. Si vous avez un dessalinisateur, je pense qu’il est quand même prudent d’embarquer la même quantité d’eau minérale.
Lorsque l’Anticyclone est bien installé vous pouvez vous attendre à naviguer beaucoup au moteur. A moins que vous ne soyez totalement libres de votre temps, d’importantes réserves de gas-oil seront les bienvenues. Vous pouvez stocker des bidons supplémentaires sur le pont contre les filières en les réunissant le long d’une planche.
Organisation des quarts
Au large vous croiserez peu de bateaux. Deux ou trois cargos, peut-être des chalutiers, et beaucoup plus rarement d’autres voiliers. Le risque de collision existe quand même donc les quarts ne sont pas facultatifs. De plus vous ferez mieux marcher votre voilier s’il y a quelqu’un sur le pont en permanence pour régler les voiles. L’organisation des quarts dépend de la composition de l’équipage, voyez cet article sur Bateaux.com
Changer d’équipage
Les îles sont toutes équipées d’aéroport. Même la plus petite: Corvo. Des liaisons par ferry relient également certaines îles entre elles, à des fréquences assez variables. Les réservations peuvent s’effectuer en ligne. Vos équipiers pourront donc gagner l’archipel à partir de l’aéroport de Lisbonne et vous rejoindre dans n’importe quel port. L’été les voyageurs étant plus nombreux, il est quand même prudent de réserver ces billets un peu en avance. De plus la course en mini-transat Concarneau-les Açores-Concarneau fait escale à Horta en juillet. Les coureurs et leurs équipes techniques ont vite fait de réserver toutes les places disponibles.
Mes îles préférées
Cette partie de l’article est la moins objective de toutes. Par avance je m’excuse auprès des insulaires que je pourrais vexer. Toutes les îles de l’archipel sont belles et intéressantes à visiter. J’ai fait escale au moins une fois dans la plupart d’entre elles. La végétation, les paysages marqués par l’origine volcanique des îles, le degré d’urbanisation créent des ambiances et des impressions très différentes.
L’archipel est séparé en trois groupes et comporte 8 îles: les îles de l’Est, le groupe du centre et celles de l’Ouest. Les distances entre ces trois groupes sont importantes: environ 120-130 milles entre les îles extrêmes et celles du centre.
Le nom de l’archipel, Açores, provient du nom portugais d’un rapace: l’Autour des palombes, une sorte d’épervier. Il figure d’ailleurs sur le drapeau de la région.
Les ports et les mouillages
Toutes les îles, à l’exception de Corvo, disposent à présent d’au moins une petite marina pour les voiliers de passage. Cependant les tempêtes de l’hiver peuvent les malmener considérablement, elles ne seront peut-être pas toutes opérationnelles à votre arrivée. Les îles sont accores comme leur nom ne l’indique pas, et la houle omniprésente. Les bons mouillages ne sont donc pas si nombreux. si vous en trouvez, vous devrez probablement mouiller dans une profondeur élevée, avec des fonds rocheux. je vous conseille vivement d’employer un orin pour être sûr de remonter votre ancre. Pendant tout votre séjour il vous faudra surveiller la météo afin de ne jamais être surpris par une rotation des vents et de la houle rendant le mouillage inconfortable voire dangereux.
Je vais vous parler ici uniquement des îles qui m’ont laissé le plus grand souvenir, mais je m’engage devant vous à passer plus de temps dans les autres îles lors de ma prochaine traversée de cette portion de l’Atlantique 😉
Santa Maria est à l’extrême sud-est de l’archipel. Sa situation géographique lui procure un climat plus sec que ses voisines et une végétation . Les couleurs sont contrastées: sable rouge d’un mini-désert volcanique contrastant avec le vert de la végétation qui l’entoure. Cultures en espalier à flanc de montagne. Plages de sable doré, peut-être les plus belles de tout l’archipel. L’île n’est pas très grande, 17km de long environ et 9 km de large, vous pourrez la visiter à pied, en bus ou en taxi en quelques jours depuis la marina de Vila do porto.
Sao Miguel à 40 milles au nord nord ouest de Santa Maria est la plus grande île de tout l’archipel. La ville principale, capitale administrative de la région est Ponta delgada. La nouvelle marina offre tous les services nécessaires aux bateaux de plaisance. Si vous aimez les volcans, les sources d’eau chaude et les randonnées en bord de falaise ou au beau milieu d’une végétation luxuriante, vous y resterez longtemps.
Sao Jorge dans le groupe central est toute en falaise et en volcans. Au pieds des immenses falaises les fajas, bandes de terre plate s’avançant dans l’océan, supportent des cultures de banane, café, légumes, bien à l’abri des vents dominants. On y trouve même un spot de surf assez fréquenté. Je ne m’y suis arrêtée qu’une seule fois et c’est une erreur car elle est vraiment magnifique.
Pico et Faial, toujours dans le groupe central sont connus de tous les marins qui ont traversé l’Atlantique dans le sens ouest-est. Le port de Horta à Faial est la plaque tournante des voiliers de croisière hauturière en Atlantique. Boire un verre au café Peter à Horta est aussi essentiel à la carrière d’un marin que d’avoir passé le Cap Horn. En plus c’est beaucoup plus facile à réaliser! Séparée de Faial par un chenal de 4 milles l’île de Pico se voit de très, très loin avec son immense volcan culminant à 2351 mètres! pico est cernée d’une roche volcanique noire, du basalte, propice à la culture de la vigne. Je n’ai jamais escaladé tout ou partie de ce volcan, mais il figure bien dans ma todo-list…
Flores et Corvo, dans le groupe de l’Ouest, à 120 milles de Faial sont deux joyaux isolés du reste de l’archipel. Corvo est toute petite et vraiment très difficile d’accès pour les voiliers. Le port est très exposé à la houle et de grosses roches au fond rendent le mouillage délicat, même avec un orin. Un été j’ai profité d’un long calme plat pour y passer deux nuits et visiter cette île issue d’un cône volcanique de 720m de hauteur. C’était absolument magique et inespéré.
Flores: j’ai gardé le meilleur pour la fin. Quand je navigue aux Açores, Flores est comme le dessert délicat ponctuant un copieux repas. Délicate et sauvage, éloignée de tout, il faut souvent naviguer au près depuis Faial pour y accéder. Le port de Lajes das Flores est régulièrement endommagé par les tempêtes hivernales puis reconstruit et agrandi, inlassablement. Sa marina a été détruite à l’automne 2019, en même temps que l’essentiel de l’immense digue de 17 mètres de haut et 23 mètres de large. Le mouillage peut devenir intenable par forte houle.
Quand le vent ou le brouillard se font trop insistants, les avions n’atterrissent plus. Autant dire que les habitants ont l’habitude d’y vivre en semi-autarcie. Une communauté étrangère composée de Français, Belges, Allemands, Italiens, Espagnols, et j’en oublie sûrement, s’y est installée à côté des Portugais. On parle beaucoup de langues à Flores. L’île est très verte, préservée de la sécheresse par l’abondance des sphaignes qui forment comme une mousse très épaisse tapissant les roches et retenant l’eau.
A nouveau des cratères, des lacs de cratères, des fajas, une végétation luxuriante, des fleurs et des cascades à ne plus savoir ou regarder. Comme partout aux Açores les fonds sont poissonneux, l’eau est claire, véritable paradis des plongeurs et des pêcheurs. C’est l’île que je préfère pour l’accueil de ses habitants, sa beauté sauvage et son isolement. Sa position un peu à part en fait un peu la Pitcairn de l’atlantique nord. D’ailleurs certains habitants se sont pris pour des naufrageurs il y a quelques années alors qu’ils auraient pu sauver le voilier d’une de mes amies qui s’était fracassé à Santa Cruz. Mais ceci est du passé, pour ma part je n’ai que de bons souvenirs à Flores. Et une hâte certaine d’y retourner et de participer aux jamsessions acoustiques du jardin de kotuku!
Quitter les Açores et rentrer en France
A moins que vous ne décidiez d’y laisser votre voilier, ou même de vous y installer, une deuxième traversée de cette partie de l’Atlantique vous attend pour en revenir. Les meilleurs ports d’où partir sont ceux de Horta et de Ponta Delgada. Vous y ferez plus facilement qu’ailleurs un avitaillement complet.
Du point de vue météorologique ce peut-être différent. Pour mon petit record personnel de 6 jours et demi je suis partie de Santa Maria. Au vu de l’étendue de l’archipel, si vous voulez prendre des options de routage pour rentrer il faudra que vous surveilliez la météo dix jours à l’avance. Ce ne sera peut-être pas compatible avec les contraintes de votre équipage. Tant pis, l’important étant d’abord de naviguer en sécurité et de profiter de cet archipel merveilleux.
2 Comments
Eric DOUCELANCE
Si l’objectif de ce blog est de donnez envie, à toutes celles et ceux qui aiment le mer, de partir découvrir des horizons nouveaux, alors, l’objectif de » notre » navigatrice est atteint. Comment ne pas admirer et apprécier tout le mal qu’elle se donne pour partager sa passion. Vidéos, photos, textes, expériences… Tout y est. Un grand merci pour ces moments de bonheur partagé. 😎⚓🐟⛵
Katell
Merci Eric pour cet adorable commentaire!