Quel bateau choisir pour débuter?
Depuis des mois, des années parfois, vous caressez l’idée de devenir propriétaire de votre voilier. Vous avez accumulé un peu d’expérience, mais pour aller plus loin vous sentez qu’il faut que vous soyez votre propre skipper. Après de longues nuits blanches à tergiverser, vous avez tranché entre l’opportunité de louer ou d’acheter un bateau. Pour vous ce sera l’achat, cette fois-ci vous en êtes certain. Armé de cette certitude rassurante vous replongez immédiatement dans la perplexité: quel bateau allez vous choisir pour débuter?
J’étais dans cet état d’esprit il y a presque 30 ans quand je cherchais avec ma mère son premier voilier. J’avais un début de compétence et elle avait les finances nécessaires. L’idée était de trouver un bateau facile à manœuvrer et capable de naviguer loin. Le second point était que je m’engageais à transmettre à ma mère mes connaissances assez rapidement pour qu’elle soit autonome avec son voilier. Je reconnais que ce genre de situation est un peu originale, mais les questions que nous nous avons rencontrées sont bien celles que tout débutant doit se poser lors de l’achat de son premier bateau.
Vous me direz que depuis les années 90 les choses ont bien changé.
Oui et non. Les questions de fond restent les mêmes. Deux choses ont évolué cependant: le marché de l’occasion s’est considérablement développé. Aujourd’hui on peut trouver son bonheur pour très peu d’argent, du moins lors de l’achat. Le second point qui a évolué, ce sont les aides à la navigation. Du pilote électrique à la cartographie électronique, les équipements modernes facilitent énormément la prise en main d’un premier voilier. Ce qui ne justifie pas de faire l’impasse sur certains apprentissages, mais ceci fera l’objet d’un autre article 😉
Au fait, deux petites mises en garde:
- N’achetez JAMAIS un voilier si vous n’avez jamais navigué auparavant. Entre ce que vous imaginez et la réalité de l’expérience il peut y avoir un énorme fossé.
- N’achetez JAMAIS un voilier sans l’avoir vu au sec. Même si c’est une affaire, en apparence.
A présent nous allons rédiger ensemble le cahier des charges qui va nous permettre de définir quel bateau choisir pour débuter.
Voici les caractéristiques idéales du voilier du débutant:
1. Un voilier facile à manœuvrer
Apprendre la voile ne nécessite pas forcément de relever des défis toutes les cinq minutes. Vous finiriez par abandonner.
Déjà dans les ports: imaginez-vous vous garer entre deux travées de bateaux par fort vent traversier. Si vous êtes novice en manœuvres de port vous vous ferez vite des cheveux blancs en choisissant un « camion ».
Qu’est-ce qu’un camion?
Le camion est un voilier lourd qui a besoin de place pour tourner. Il a des superstructures importantes qui donnent beaucoup de prise au vent : beaucoup de fardage donc. Son pas d’hélice vous conduit inexorablement vers tribord (ou bâbord, c’est selon) en marche arrière. Son plan de voilure est celui des anciens sloop: petite grand-voile et génois à fort recouvrement. Autant dire qu’il faudra des bras pour border aux virements de bord. A la barre il vous donne peu de plaisir, par contre là aussi il exige une bonne musculature.
Donc si vous débutez, à moins que le confort au port ne prime sur tout le reste, évitez ce type de voilier.
A l’inverse j’ai rencontré un jeune homme qui avait débuté sur un First Class 8. Il l’a acheté et il a appris à naviguer presque tout seul. Ce garçon ne doit pas lire ce blog. Il est d’une trempe particulière, du genre qui n’a peur de rien et tout dessus par 40 noeuds de vent.
Le First Class 8 est un petit bolide, conçu pour la régate. Il a des bastaques. Il réagit tout de suite aux réglages. Pour débuter en voile comme équipier c’est un très bon support. Pour vos premiers skippages en revanche, ce n’est pas impossible, mais alors allez-y progressivement, d’abord par petit temps puis augmentez la difficulté. Je vous donne d’ailleurs des conseils à ce sujet dans mon livret « progresser en voile sans prendre de cours », c’est le moment de le télécharger si vous ne l’avez pas encore fait (formulaire bleu à droite de votre écran et en fin d’article)
Une taille comprise entre 24 et 32 pieds
A ce sujet je vous déconseille de dépasser 32 pieds pour un premier voilier. Je pense même que le top pour s’initier à la croisière serait de démarrer sur un bateau entre 24 et 28 pieds. Ils sont plus facile à prendre en main, pardonnent mieux les erreurs et accessibles à toutes les bourses.
N’oubliez pas cet adage : petit bateau = petits soucis + petit budget.
2. Vivant
L’inverse du camion en voile, ce serait la mobylette. Il s’agirait d’un voilier léger, réactif et capable de se faufiler dans les ports sans égratignures.
Un voilier de ce type vous enseignera le réglage de voile presque autant qu’un dériveur léger, tout en vous initiant à la croisière. Alors qu’à bord d’un camion vos réglages fins n’auront aucun effet perceptible.
Pour la majorité des débutants, des bateaux vivants mais un peu moins toilés que le Class 8 conviendront mieux. Vous aurez plus le temps de vous concentrer sur d’autres aspects que la manœuvre et les réglages: la navigation par exemple, ou votre équipage…
En réalité, nombre de petits voiliers de croisière habitables , lorsqu’on les dote de belles voiles peuvent vous donner de belles sensations. J’appelle cela réveiller un voilier 😉
3. Un bateau prêt à naviguer?
Êtes-vous bricoleur? Si non, oubliez l’idée d’acheter un bateau.
A quel point aimez-vous bricoler?
Ceci déterminera votre choix. Certains marins prennent autant, voire plus, de plaisir à rénover des voiliers qu’à naviguer. Le premier avantage de cette démarche est qu’elle vous amènera à connaître votre destrier de fond en comble. Cela est très utile en cas d’avarie en mer. Le second avantage est que si vous êtes vraiment motivé, vous pouvez faire des affaires intéressantes en achetant de vieux voiliers à l’abandon.
L’inconvénient majeur est bien sûr que pendant que vous retapez votre bateau, vous n’êtes pas sur l’eau. A vous de voir quel est votre objectif immédiat.
4. Quel confort?
Cette question rejoint celle du programme de navigation. Disons que si vous voulez dormir à bord, quel est le niveau de services qui vous est indispensable? Posez vous la question à vous-même mais aussi à votre futur équipage. Sinon vous n’aurez peut-être pas d’équipage.
Entre le seau et le wc, la douche solaire en pied de mât et la salle de bain avec eau chaude sous pression, les mini-cabines où l’on vit à 4 pattes et les hauteurs sous barrot de cathédrale, vous aurez des choix à poser.
Retenez tout de même que plus vous avez d’équipements de confort et plus vous aurez de pannes potentielles.
Souvent les bateaux légers et rapides sont très spartiates. Il en existe qui sont légers, rapides et confortables, mais ils sont plus chers. A l’inverse il existe sur le marché de l’occasion quantité de petits bateaux à bon marché que l’on peut équiper pour vivre à bord sans risquer le lumbago.
5. La place de port
Dans certaines zones tendues, les places de port se font vraiment rares. Bonne nouvelle: la situation est amenée à s’améliorer, en partie grâce à des innovations dans les modes de stationnement proposées par les marinas.
Parfois le premier bateau vient donc avec sa place au ponton. Il faut y penser avant d’acheter, sinon vous allez vous trouver devant un gros problème. Autre alternative plus économique: louer un corps-mort coûte beaucoup moins cher qu’une place en marina.
6. Accessible financièrement
Le bon bateau est d’abord celui que l’on peut s’acheter.
Franchement, dès que vous avez résolu le problème du stationnement, vous n’avez plus d’excuse. Il existe des voiliers aujourd’hui pour absolument tous les budgets. Le marché de l’occasion est immense. Les bateaux mais aussi les voiles, les moteurs, l’accastillage, tout peut s’acheter d’occasion!
Le truc pour ne pas vous trouver en banqueroute: établissez un budget prévisionnel AVANT d’acheter. Le prix que vous pouvez mettre doit englober tous les postes, plus une réserve de sécurité. Si vous respectez ce principe tout devrait bien se passer.
7. Revendable
Si vous tombez en arrêt devant un joli proto en contreplaqué-epoxy, réfléchissez bien avant d’acheter. Le jour où vous voudrez un plus grand bateau, ou bien plus de bateau du tout, pourrez vous le revendre facilement? Et à quel prix?
Les voiliers d’occasion qui se vendent le mieux sont des bateaux de série dont la réputation est solide. Les autres sont réservés à des passionnés. Ils peuvent vous rester longtemps sur les bras.
D’autre part quand vous achetez un bateau vraiment ancien, sa valeur dépend essentiellement de son équipement. Une voile neuve peut coûter aussi cher que le voilier nu, mais elle se dévalorise vite. Donc quand vous revendrez ce voilier, c’est l’équipement et sa pose qui fera monter le prix, mais à la moitié du neuf évidemment.
8. Le programme de navigation
Admettons que vous débutiez, mais pas totalement non plus. Vous pouvez avoir des tas de raisons d’acheter ce premier voilier. Dans cet article, comme dans tout ceux du blog, je suis partie de l’idée que vous vouliez progresser en voile. Il n’empêche que vous pouvez aussi aspirer à naviguer très loin et très longtemps. A moins que la navigation côtière ait votre préférence. Tout est possible.
J’ai restreint la longueur à 32 pieds parce qu’au delà sans expérience je pense que vous courrez le risque d’être dépassés. Or vous pouvez tout à fait faire un tour du monde à bord d’un 32 pieds. Et même avec un 28 pieds. Ce qui change avec la taille: le confort, la vitesse, le coût.
Le programme de navigation vous amènera à définir les critères suivants:
- tirant d’eau souhaité
- dériveur, quillard, quille relevable
- performances
- solidité
- confort
9. Le coup de cœur
Revenons sur le joli proto en CP de tout à l’heure. Mettons qu’il soit bien équipé, entièrement rénové et qu’il réponde à votre programme de navigation. Alors que faites-vous? Sera t-il le bateau que vous devrez choisir pour débuter?
Calculez sa valeur au plus juste en tenant compte de l’ancienneté, du matériau et de l’équipement. Négociez autant que possible sans vexer le vendeur. Et puis foncez si tous les voyants sont au vert! On n’a qu’une vie!
Quelque soit votre choix: vous serez bien plus motivé pour naviguer sur un voilier que vous aimez. Vous apprendrez mieux et plus vite!
10. Quelques voiliers indémodables pour débuter
Nous arrivons au terme de cet article. Tout au long de votre lecture vous voyez que j’ai cité très peu de modèles pour que vous restiez focalisés sur votre cahier des charges. Par ailleurs je connais le marché français, mais pas le marché canadien par exemple. Si d’aventure quelques lecteurs québecois passaient par là je leur serais reconnaissante de nous renseigner.
Quel bateau choisir pour débuter?
Voici quelques petits voiliers de croisière anciens pour débuter en France, peu chers, aux performances honorables et qui vieillissent bien, dans le désordre :
First 210 ou 211, First 21.7, Trident 80, Sangria, Ecume de Mer, First 25, Kelt 8m, Brise de mer 28, Aquila, RM 900, first 29, Dehler 28, Flush Poker, Fantasia, Arcadia, First 285 GTE …
Pour des budgets plus confortables: Django 7.60, RM 8,80m, Sun Fast 32, First 31.7 etc.
Conclusion
Voilà, vous savez que avez du choix. Les sites de bateaux d’occasion vous tendent les bras, tout comme les chantiers nautiques et les marinas. Promenez-vous, soyez curieux, dressez votre cahier des charges. Quand vous aurez visité un voilier qui vous plaît, dressez un budget exhaustif, essayez-le, voyez-le au sec. Et puis cessez de procrastiner: lancez-vous et dites-nous quel bateau vous avez choisi pour débuter!
4 Comments
MORGANE
Bonjour Katell
Merci pour toutes les informations que vous nous partagez, votre site est très agréable à lire et instructif.
Voilà ma question à la suite d ela lecture de cet article : après quelques années de procrastination mon conjoint et moi-même venons de nous décider pour un Challenger Scout de Cormoran de 1975 (7,2 m) . Faire de la voile devient un impératif vital pour mon conjoint de 54 ans qui vient de Groix et qui bien la mer mais a très peu navigué (pour ma part novice mais motivée). Alors nous l’avons vu et nous sommes lancés (il a été retapé et revendu par un mécano marine très précautionneux) ! Et nous avons une place au Port en face de chez nous.
Que pensez-vous de ce type de bateau (viellisssement et débutants en croisière avec un enfant en bas-âge) ?
Merci beaucoup à bientôt
Morgane
Katell
Bonjour Morgane, le Challenger scout est un très bon petit voilier d’initiation. Sa taille et votre expérience impliquent que vous naviguiez dans des conditions de vent modérées au début, surtout avec un jeune enfant. Il sera vite inconfortable quand la mer se lèvera et votre enfant aura sans doute envie de se dégourdir les jambes au bout de deux heures de navigation, à moins qu’il ne dorme. Donc je dirais pas plus de 15 noeuds de vent établi sur un plan d’eau abrité au début, puis sans enfant vous pouvez tenter avec des conditions plus difficiles avant de décider de l’emmener en toutes circonstances quand vous serez amarinés. Mais alors je veux bien parier que vous chercherez un voilier plus grand ou plus habitable 🙂
Côté vieillissement, il faut penser au renouvellement des câbles du gréement tous les 10 ans suivant les assureurs, s’assurer qu’il n’y ait pas d’osmose sur la coque ou la traiter, pas de délaminage sur le pont du à des infiltrations d’eau dans le balsa (si c’est bien du sandwich balsa) et selon certains retours surveiller la fixation des cadènes de haubans.
MORGANE
Merci beaucoup Katell pour votre réponse rapide et qui me rassure sur notre choix, nous surveillerons tout ça. A bientôt peut-être sur votre super site. Hatoup !
Isabelle
Bonjour Katell,
Pour mes débuts, un Edel 600 de 1980, acheté en mars dernier.
Je l’ai eu non pas pour une bouchée de pain mais presque. En fait, je suis sur Port-Camargue en méditerranée, et dans ce coin, les prix flambent pour les bateaux vendus avec leur place de port. Ceci dit, les Edel sont vraiment bon marché, même surcotés, ils restent accessibles financièrement y compris avec l’entretien, la place de port et l’assurance.
L’Edel 600 est un voilier de 6 m, quillard TE 1 m, habitable, avec coin cuisine (gaz et évier) + wc marin, et au port le confort de pouvoir ouvrir et aérer le bateau grâce à son roof ouvrant façon Westfalia/Van VW. La hauteur sous barrot passe de 1.40 à 1.75 m, le luxe quoi ! Pour l’instant, je navigue essentiellement à la journée, je ne suis donc pas trop regardante sur le confort.
Ses performances sur l’eau sont tout-à-fait honorables : je l’ai juste délesté de la vaisselle, casseroles et autre cocotte-minute des prédécesseurs, un bon carénage + un jeu de voiles neuves, et là, je suis loin d’être ridicule sur l’eau. J’avais déjà fait de la voile de légère + cours sur habitables, la prise en main a été assez facile, presqu’intuitive. Et avec cette taille de bateau, pas vraiment de crainte pour les manœuvres au port, même en solo.
Dans quelques temps, je changerai de voilier, idéalement pour un First 310 ou 31.7 selon mon budget du moment.
Isabelle