skipper heureuse
Choisir et équiper son voilier

Êtes-vous fait-e pour posséder un voilier?


Le soleil tape fort sur votre nuque. Au loin, les voiles blanches et spis colorés s’égrènent sur l’horizon. Vous replongez la tête dans le coffre arrière. Vous la ressortez aussitôt : sans une pince multiprise, vous n’aurez aucune chance de dégager cette goupille du vérin du pilote automatique. Mais où est-elle donc passée ?

Hier, vous avez passé trois heures à recoudre un gousset de latte, et le week-end dernier, c’est le guindeau qui s’est bloqué alors qu’il restait 40 mètres de chaîne à remonter. Votre dos s’en souvient encore.

Vous êtes enfin l’heureux propriétaire d’un voilier habitable. Un rêve de gosse que vous avez mis 15 ans à réaliser.

Enfin libre d’aller où vous voulez quand vous voulez, sans avoir à subir les humeurs d’un capitaine. Cette fois-ci, le boss, c’est bien vous. À peu de choses près. Très exactement à une goupille du bonheur absolu.

C’est aussi cela, le quotidien du skipper-propriétaire : réparer, entretenir, prévenir la casse et les pannes. Tout ce travail qu’une société de location de voiliers prend en charge, dont les clients ne prennent conscience que lorsqu’il n’est pas correctement fait.

Alors bien sûr, vous n’avez pas toute une flotte à entretenir, mais il n’empêche : ça vous prend du temps, de l’énergie et un bon paquet d’euros.

Le secret pour que votre passion survive à ces aléas réside dans votre philosophie de la mer. Et là, nous sommes très inégaux.

Certains propriétaires se plaignent sans discontinuer de toutes les galères qui leur tombent dessus. À croire que le sort s’acharne exclusivement sur eux.

Alors que d’autres, après un temps d’adaptation, finissent par comprendre que la bricole dans le mât avec deux mètres de houle n’est pas réservée aux seuls coureurs du Vendée Globe. Ils n’apprécient pas nécessairement, mais ils sauront en faire une histoire trépidante à l’heure de l’apéro au mouillage.

Pour bien choisir son camp, mieux vaut s’être bien renseigné avant. J’avoue que je vous ai un peu poussé au crime dans ce précédent article: 7 signes qu’il est temps d’acheter votre voilier

Vous en avez déduit que vous deviez vous lancer?

Comme j’ai le sens des responsabilités,  je me dois tout de même de vous prévenir ce qui vous attend dans cette aventure.

1. Le véritable coût d’un voilier (et comment ne pas déverser votre argent dans la mer)

En avant pour l’aventure, mais à quel prix ?

En cassant votre tirelire pour l’objet de vos rêves, vous mettez le doigt dans un dangereux engrenage. 

Les Britanniques en parlent mieux que quiconque:

« Un bateau est un trou dans l’eau dans lequel on jette de l’argent »

« Les deux plus beaux jours de la vie d’un marin sont le jour où il achète son bateau et celui où il le vend. »

Ce que je vous conseille, moi, c’est de raisonner différemment. 

Ne vous achetez pas un voilier.

Offrez vous un projet, un rêve, une aventure et même tout un univers, avec ses codes, ses rencontres, ses histoires et ses techniques.

Pensez projet, pas seulement voilier!

Vos objectifs peuvent se décliner en:

  • un programme de navigation, 
  • un nouveau style de vie à tester, 
  • des proches avec qui partager une expérience 
  • ou pourquoi pas un test de vos capacités de DIY. 

Certains de vos plans seront très hypothétiques et d’autres tout à fait réalisables. Le mix des deux vous donnera la motivation nécessaire pour avancer.

Mais si vous pensez simplement vous offrir un bel objet qui attesterait de votre qualité de marin, vous vous fourrez le doigt dans l’œil jusqu’au menton. 

Car ce n’est pas le bateau qui fera de vous un navigateur, mais plutôt ce que vous en ferez !

Et là, croyez-moi, l’achat n’est vraiment qu’une formalité à côté de ce qui vous attend ensuite.

La clé du succès : des objectifs clairs

Quand vous saurez à peu près ce que vous visez, vous pourrez définir les ressources que vous voudrez y accorder. 

Mais avant tout, n’oubliez pas: quelle est la durée du projet?

Parce qu’un des nombreux pièges qui vous attend serait de ne pas envisager de fin à cette histoire. Vous n’êtes pas obligé, bien sûr, d’être précis. 

Cultiver l’idée qu’un jour vous vous séparerez de ce bateau vous aidera à le faire à temps. C’est-à-dire avant que votre relation ne devienne conflictuelle, ou qu’une certaine usure s’installe des deux côtés…

Un projet personnel, un budget bien pensé

Très concrètement, j’ai acheté mon dernier bateau avec l’intention d’explorer l’Atlantique Nord, et notamment l’Arctique, pendant 5 à 8 années, en équipage, à raison de 2 à 5 mois par an. 

J’ai repéré des navigations que je voudrais vraiment réaliser, et d’autres plus optionnelles. Je fais tout mon possible pour dégager le temps et l’argent nécessaires à ce projet, mais sans sacrifier d’autres pans importants de ma vie. Enfin j’essaie…

Certains voudront un voilier pour une transatlantique en famille. D’autres pour des balades côtières en solitaire.

Ce sont des projets que vous avez parfaitement le droit d’interrompre si l’expérience ne vous convient plus ou simplement parce que vous avez envie de vivre autre chose.

À ce stade, vous avez une estimation du nombre de jours que vous pourriez passer en mer par an. 

Regardez quand même les tarifs d’une location de bateau équivalente. Pour que votre choix reste éclairé, on se sait jamais!

Les coûts cachés de la liberté

Alors combien va vous coûter tout ça ? À nouveau, c’est très variable. Tout dépend de votre projet et de vos exigences.

D’abord, un voilier quand il ne navigue pas doit être “garé” quelque part. Que ce soit dans un mouillage, une marina ou dans un champ. Cela peut paraître bête, mais vous avez vraiment besoin de répondre à cette question, même provisoirement, avant de signer votre chèque.

Appelons cela un “coût de parking.”

Ensuite, vous devrez probablement l’assurer. Ce n’est pas obligatoire, tant que vous ne fréquentez pas les marinas, mais c’est vivement conseillé.  Au moins pour les dégâts que vous pourriez causer à autrui. Donc, il y a des frais d’assurances.

Puis les impôts vous demanderont de vous acquitter d’une petite taxe. En France, un “droit de francisation” qui varie selon divers critères, dont l’âge du bateau, à renouveler chaque année.

Et c’est… tout !

Donc, si vous avez un champ (ou un jardin à la campagne), une assurance au tiers pour un bateau de plus de 20 ans, les dépenses obligatoires peuvent être assez limitées.

L’entretien, l’ennemi invisible

D’où vient l’idée alors qu’un bateau coûterait si cher ? Eh bien, disons que si votre bateau navigue, il va y avoir un peu d’entretien à prévoir. C’est vraiment là que tout va se jouer.

Un voilier habitable, c’est une coque, des appendices, un mât et son gréement, des voiles, de l’accastillage, de l’électronique, un moteur, et divers éléments de confort et de sécurité. Or tout ce matériel a la particularité de s’user et se dévaloriser, même si vous ne vous en servez pas !

Car l’eau salée est un milieu extraordinairement corrosif. 

Et bien sûr, si vous vous en servez, l’usure sera plus rapide. Les mouvements continuels, le soleil, les forces en jeu considérables viendront petit à petit à bout de vos cordages, joints, coutures, tissus, sertissages, etc. 

Comme si la mer grignotait tranquillement votre bateau.

Votre budget d’entretien : c’est plus que vous ne croyez

Pour lutter contre cette dégradation permanente, vous allez devoir donner de votre temps et de votre argent. 

Je vous donne un ordre d’idée. Prenons un voilier âgé de 10 ans: on pourrait estimer ce coût d’entretien et de possession annuel à 8-10% de sa valeur en moyenne.

Quant au temps à y consacrer, c’est beaucoup plus compliqué à estimer. Cela dépend de ce que vous déléguez, et du soin que vous voulez y apporter. 

Et n’oubliez pas: chaque nouvel équipement ajouté devient immédiatement une source de panne potentielle supplémentaire.

Dans tous les cas, ce sera plus que ce que vous ne pensez. Surtout si vous n’êtes pas doué en bricolage, ou pire : si vous n’aimez pas ça.

2. La philosophie de la maintenance

Vous êtes toujours là ?

Si c’est le cas, soit vous aimez souffrir, soit vous avez construit un projet suffisamment solide pour dépasser les obstacles dont j’ai parlé plus haut. Bienvenue au club !

Acceptez les inconvénients

De mon point de vue, les défis de la maintenance font partie intégrante de l’expérience de la navigation. Chaque panne, chaque problème technique est une occasion d’apprendre. 

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La mer finit toujours par venir à bout de nos équipements et les aléas sont inévitables.

Accepter cette réalité vous permet de développer une résilience et un savoir-faire face aux imprévus. Plutôt que de vous décourager face à une avarie, voyez cela comme une opportunité d’exercer votre créativité et vos compétences en bricolage. 

Par exemple, une fuite dans le circuit d’eau du moteur en plein milieu de l’océan m’a conduite à colmater une durite avec un ruban de gaze et du mastic polyuréthane. Finalement ça a tenu des semaines !

Et si j’avais échoué? Alors ç’aurait été le moment idéal pour améliorer mes réglages fins dans le petit temps 😉

Avec cette philosophie, chaque problème résolu est une victoire personnelle. Elle renforce votre confiance en vous et votre maîtrise du bateau. 

Les navigateurs qui adoptent cette approche voient leur voilier non pas comme une source continuelle de tracas, mais comme un partenaire dans une aventure continue. 

Mais un partenaire dont il faut prendre soin régulièrement.

L’art du bricolage

Bricoler sur son voilier peut donc être une source de grande satisfaction personnelle, un hobby gratifiant qui permet de mieux connaître votre bateau.

Mais pas sans organisation. 

Imaginez-vous à la recherche d’une hypothétique goupille neuve de 3 mm perdue dans une boîte remplie de boulons et de manilles alors que votre voilier progresse difficilement au près dans une mer agitée. D’ailleurs si vous aviez la possibilité d’abattre un peu…

Pour rendre la maintenance plus agréable (ou moins désagréable), voici quelques conseils pratiques :

  1. Rangez vos outils et vos boulons :
    • Un espace de travail bien organisé est essentiel pour des réparations rapides et efficaces. Rangez vos outils et pièces de rechange de manière ordonnée et accessible.
  2. Créez un plan d’entretien régulier :
    • Établissez un calendrier d’entretien pour effectuer les vérifications et les réparations nécessaires à intervalles réguliers. Cela inclut des tâches comme l’inspection des voiles, la vérification des équipements de sécurité, la révision du moteur et le carénage.
  3. Investissez dans des outils de qualité :
    • Investissez dans des outils robustes et entretenez-les soigneusement (une célèbre bombe de dégrippant bleue et rouge et des chiffons gras peuvent faire des miracles).
  4. Formez vous :
    • N’hésitez pas à suivre des formations en présentiel pour améliorer vos compétences en mécanique. Il existe aussi de nombreuses ressources en ligne qui peuvent vous aider à devenir plus autonome et efficace dans la maintenance de votre voilier.

Appelez les copains à la rescousse

Installez un barbecue sur la cale et faites griller des saucisses pendant que vos amis grattent les coquillages sous la carène.

C’est comme cela que j’ai pu accélérer la mise à l’eau de mon nouveau voilier. Sinon, combien de temps pour installer seule la grand voile, son immense lazy-bag ou hisser le matériel à bord du bateau au sec ? 

Alors parfois ça vous fait gagner du temps, et parfois non. Tout dépend du type de tâches et de la dextérité de vos copains. Mais la convivialité c’est très bon pour le moral quand on en a marre de faire des épissures tout seul dans son coin.

🥰Merci les copains!

Pensez-y dès le début, en discutant avec eux de votre projet, de votre désir d’acheter un voilier. Ils vous aideront à réfléchir, en vous posant des questions, en testant votre motivation. Les plus motivés vous proposeront spontanément de l’aide, même s’ils n’y connaissent rien. Vous constituerez peut-être le noyau dur de vos futurs équipages ainsi !

Et c’est encore avec eux que vous partagerez les récompenses de tous ces efforts.

3. Les récompenses de la navigation

Les moments de bonheur

La navigation à voile procure des sensations et des joies uniques que peu d’autres activités peuvent offrir. 

Vous voici debout à la proue de votre voilier, le vent soufflant dans vos cheveux, les vagues éclaboussant doucement la coque. Le soleil se couche à l’horizon, peignant le ciel de teintes orangées et pourpres. 

Souvent, aux abords de l’île de Sein en Bretagne, les dauphins viennent jouer avec votre étrave. Leur présence, si proche et si libre, suscite immanquablement en moi une joie très pure, un émerveillement d’enfant. Dans ces instants, je ressens profondément mon appartenance à la nature.

Je suis le dauphin!

Tous les skippers expérimentés partagent des moments inoubliables. Une nuit étoilée en navigation, le ciel devient un spectacle à couper le souffle. Vous passez vos heures de quart à contempler les étoiles, en parfaite harmonie avec l’univers.

Le contraste entre les tracas et les joies

Bien sûr, la navigation n’est pas toujours idyllique. Les tracas, les pannes et les défis techniques font partie intégrante de l’expérience. Cependant, ces moments difficiles mettent en valeur les récompenses de la navigation, rendant chaque instant de bonheur encore plus précieux.

Après une tempête inattendue en mer. Les heures passées à lutter contre les éléments, à sécuriser le voilier et à garder le cap ont été éprouvantes. Mais lorsque vous voyez enfin le ciel s’éclaircir, le sentiment de triomphe et de soulagement est incomparable. Vous avez non seulement survécu, mais vous avez également appris et grandi en tant que navigateur.

Ces expériences forment des souvenirs impérissables et des anecdotes à partager lors des apéros au mouillage, où chaque navigateur raconte ses histoires avec une pointe de fierté et beaucoup de passion.

J’irai même jusqu’à dire que sans tous les défis qu’elle comporte, l’expérience de la navigation serait bien plate. Nous passerions à côté d’émotions puissantes et de nos étonnantes capacités d’adaptation. 

Et puis quand l’accès aux beautés de la nature devient trop facile, l’appât du gain nous conduit à les exploiter et finalement à les détruire. Mais ceci est un autre sujet.

Êtes-vous prêt à surmonter ces défis ?

Si, au terme de cette lecture, vous n’avez pas changé d’avis ; si les heures à repeindre la coque, recoudre les voiles et vidanger le moteur ne vous font pas reculer ; si vous pensez que votre entourage est prêt à vous supporter, y compris votre banquier, alors le moment est venu de prendre votre décision.

Quelle sera-t-elle ? Vous ai-je fait hésiter ? Vous ai-je aidé à peser le pour et le contre?

Achèterez-vous un voilier ou plutôt un projet ? Saurez-vous vous en séparer à temps, pour un plus grand, un plus petit, ou une maison en bois dans les Cévennes?

Mais peut-être que je suis trop curieuse!


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