Panne de moteur en voilier : Appeler les secours ou pas ?
Savez-vous que la panne de moteur en mer est le premier motif d’appel des secours en mer? Pour la plaisance à la voile en 2022 cela représentait 30% des motifs de sorties des sauveteurs.
Mais à bord d’un voilier si le moteur ne fonctionne plus, pourquoi ne pas utiliser les voiles?
Cette question n’est pas si naïve, elle suscite même un peu d’ironie face à certaines demandes d’assistance abusives…
Alors je vous propose d’examiner un peu plus en détail les raisons qui pourraient bien amener le skipper d’un voilier à lancer un appel d’urgence (PAN PAN) voire de détresse (MAYDAY), justifié, pour une panne de moteur.
Les différentes pannes de moteur
Plutôt que de faire une liste des différentes pannes, classons les par ordre de gravité. Menacent-elles vos vies? Ou bien augurent-elles seulement d’une longue soirée à passer en mer à attendre que le vent veuille bien nous sortir de ce mauvais pas? Le seul fait de vous poser honnêtement ces questions peut vous amener à réagir de manière plus adaptée à la situation.
Les pannes mineures :
Ce sont celles qui peuvent être résolues facilement par l’équipage grâce à leurs connaissances en mécanique ou à l’aide d’un manuel de réparation. Ces problèmes incluent des dysfonctionnements électriques mineurs, des problèmes de carburant simples, ou des obstructions du système de refroidissement.
Les pannes majeures :
Les pannes majeures sont plus complexes et nécessitent généralement une expertise technique ou des pièces de rechange pour être résolues. Il peut s’agir de problèmes mécaniques internes du moteur, de défaillances du démarreur, ou de problèmes avec le système de transmission.
Dans ces cas, l’équipage peut être en mesure de diagnostiquer le problème, mais pourrait ne pas être en mesure de le résoudre sans l’aide d’un professionnel ou l’accès à des pièces de rechange. Il va donc falloir se passer du moteur.
Les pannes critiques :
Les pannes critiques sont celles qui mettent en danger la sécurité de l’équipage et du voilier. Elles peuvent être causées par des problèmes majeurs liés au moteur, un incendie ou une hélice engagée, ou un cumul de facteurs qui transforment une panne mineure ou majeure en panne critique. Dans ces situations, l’équipage doit prendre des mesures d’urgence pour assurer sa sécurité et celle du voilier, et il est souvent nécessaire de faire appel aux secours pour une intervention rapide et efficace.
Les compétences de l’équipage
Connaissances en mécanique et en navigation :
Je ne rédigerai pas sur ce blog un traité de mécanique et donc vous ne trouverez pas dans cet article une liste des pannes possibles ni de leur mode de résolution. Tout simplement parce que la majorité des voileux ne sont pas des mécaniciens et ne comptent pas le devenir.
Néanmoins un minimum de connaissances de base sont nécessaires. De quoi diagnostiquer et résoudre les problèmes mineurs sans l’aide des secours, et d’être mieux préparé à affronter les situations d’urgence. Pour cela vous pouvez vous inscrire à des ateliers de formation en mécanique marine. Une alternative intéressante serait même de trouver un mécanicien qui veuille bien vous initier à l’entretien courant de votre moteur, à votre bord.
Connaître les procédures d’urgence :
En plus des compétences techniques, il est crucial pour l’équipage de connaître les procédures d’urgence en cas de panne de moteur ou d’autres incidents. Cela inclut la maîtrise des équipements de sécurité et de communication à bord. L’idéal serait de les afficher au-dessus de la table à carte pour ne pas avoir de questions à se poser au moment crucial.
Préparer et équiper votre voilier :
Un voilier bien préparé et équipé est moins susceptible de rencontrer des problèmes de moteur et mieux armé pour faire face à des situations d’urgence. L’équipage doit s’assurer que le voilier est régulièrement entretenu et inspecté, et qu’il dispose de tous les équipements de sécurité et de communication nécessaires. De plus, il est fort utile d’avoir à bord un kit de réparation et des pièces de rechange pour les problèmes courants (courroies, filtres, rouet de pompe, bougies etc.)
Si vous n’y connaissez rien, demandez à votre mécano préféré quelles pièces et quels outils vous devez embarquer. Évidemment il faudra aussi savoir comment les remplacer.
Les services de secours en mer
Les services de secours en mer ont pour mission de protéger la vie humaine, de préserver l’environnement et de porter assistance aux navires en détresse. Leur intervention peut inclure des opérations de recherche et de sauvetage, de lutte contre la pollution, ou encore d’assistance technique en cas de panne. En France les secours en mer sont assurés par la SNSM, composée de bénévoles, et la marine nationale.
Des ressources limitées
Les services de secours en mer disposent de ressources limitées, notamment en termes de navires, d’équipements et de personnel. Ils doivent donc gérer et prioriser leurs interventions en fonction de l’urgence et de la gravité des situations. Les appels pour des pannes de moteur qui pourraient être résolus par l’équipage ou qui ne mettent pas en danger la sécurité peuvent ainsi mobiliser des ressources précieuses au détriment d’autres opérations plus critiques.
Les critères pour déterminer la légitimité d’appeler les secours
Cette question est un peu délicate car du point de vue des équipages elle est souvent très subjective. Certains vont paniquer rapidement tandis que d’autres vont surestimer leurs capacités. Le risque est celui du sur-accident.
Cela s’est posé pour moi un jour où le safran de mon voilier de 13m s’est pris dans un filet. Je naviguais par un vent de force 4 à 5 au portant dans la baie de Douarnenez quand le bateau s’est arrêté. La houle rentrait depuis le large ainsi que la mer du vent.
Dans un premier temps j’ai envisagé de plonger sans combinaison dans l’eau à 12 degrés pour libérer le safran. Mais je craignais d’être assommée par la jupe qui montait et descendait dans le clapot. En plus, j’avais sous ma responsabilité un équipage de personnes handicapées mentales peu aptes à m’aider ou à se secourir elles-mêmes.
Au final, voyant mon manège le sémaphore le plus proche m’a proposé par VHF une assistance en me dissuadant de me mettre à l’eau.
Une demi-heure plus tard, la vedette de la SNSM arrivait avec des plongeurs tout équipés. Finalement, l’opération s’est avérée très facile pour eux, et j’ai dû ravaler mon ego!
La sécurité de l’équipage et du voilier :
La priorité absolue en cas de panne de moteur ou de toute autre avarie doit donc être la sécurité de l’équipage et du voilier. Si la panne met en danger la vie des personnes à bord ou la navigabilité du voilier, il est légitime de faire appel aux secours.
Les conditions de mer et l’approche de la terre:
Ces conditions peuvent influencer la légitimité d’appeler les secours. Par exemple, une panne de moteur dans une zone à fort courant ou à l’approche de récifs peut rapidement devenir dangereuse, même si elle pourrait être résolue par l’équipage dans des conditions plus clémentes. Dans ces situations, l’intervention des secours peut être justifiée.
Les conséquences de l’appel aux secours
Les implications légales et financières pour le plaisancier :
Dans certains pays, les services de secours peuvent facturer les interventions, notamment si elles sont jugées abusives ou non justifiées. De plus, les assurances maritimes peuvent imposer des conditions spécifiques en cas de recours aux secours, et le non-respect de ces conditions peut entraîner des pénalités ou une limitation de la couverture d’assurance.
En mer, l’assistance aux personnes ne vous sera pas facturée. Par contre, l’assistance aux biens si, et la note pour un remorquage peut être salée. En tant qu’association la SNSM ne cherche pas à faire de bénéfices sur ces actions, mais les stations essaient de facturer ce que leur coûte la sortie en terme de consommation de carburant et d’entretien du bateau utilisé.
A titre indicatif en parcourant la presse et les sites d’assureurs j’ai trouvé cette grille de tarifs qui étaient encore en vigueur en 2020:
- 340 € / heure pour remorquer un bateau de moins de 7 mètres
- 600 € / heure pour un bateau de 7 à 12 mètres
- 690 € / heure pour un bateau de plus de 12 mètres
Les conséquences pour les services de secours et les autres usagers de la mer :
Lorsqu’un voilier fait appel aux secours pour une panne de moteur qui aurait pu être résolue par l’équipage ou qui ne met pas en danger la sécurité, cela mobilise des ressources précieuses qui pourraient être nécessaires pour d’autres interventions plus urgentes ou critiques. Les services de secours sont souvent soumis à des contraintes de temps, de personnel et de matériel, et chaque intervention non justifiée peut avoir un impact sur leur capacité à répondre aux besoins des autres usagers de la mer.
Les alternatives à l’appel aux secours
Utiliser les voiles pour se passer du moteur 🙂?
Pourquoi au fait naviguer au moteur quand on a des voiles? En général les voileux ne sont pas très fans de cette solution. Il faut que le vent soit faible, ou que le port approche pour que, la mort dans l’âme, il lance la mécanique.
Mais ce ne sont pas les seules circonstances où nous mettons le moteur. Parfois le bateau est un piètre marcheur au près, et nous l’utilisons comme un fifty. Les voiles sont alors réservées au portant, à partir de 10 nœuds de vent minimum.
Il arrive aussi qu’un équipage peu aguerri ait peur d’arriver après la nuit parce que le vent est faible ou que sous voiles il faudrait tirer des bords. Arrive t-il que dans ces circonstances des voiliers appellent la SNSM pour un remorquage?
Oui, malheureusement cela se produit quelquefois. Mais sauf à avoir peur de rater l’apéro, il vaut probablement mieux demander assistance quand on ne se sent pas capable de rentrer à terre par ses propres moyens. De toute façon, ce remorquage, vous devrez le payer…
Faire appel à des services privés de remorquage
A ma connaissance il n’existe pas de tels services pour les plaisanciers en France. Par contre les marinas proposent généralement un service de remorquage à proximité du port pour aider les bateaux à manoeuvrer jusqu’au quai. Ce qui peut être une excellente solution si vous pouvez arriver jusqu’à eux à la voile. Un coup de téléphone à la capitainerie et le tour est joué. Enfin, si vous arrivez aux heures ouvrables.
Demander conseil ou assistance à d’autres plaisanciers
Enfin il est parfois possible de demander conseil ou assistance à d’autres plaisanciers qui se trouvent à proximité. Cela peut inclure des conseils pour résoudre la panne, un prêt de matériel ou de pièces de rechange, ou même une assistance pour remorquer le voilier vers un port ou un mouillage sûr. A réserver tout de même à des cas où cela ne mettrait pas en danger votre sauveteur.
Je me souviens comme ça d’avoir été sauvée d’un crash sur le pont de Plougastel à mes débuts. Le chantier nautique venait de mettre mon bateau à l’eau et de le faire mâter, si bien que la VHF n’était pas encore branchée. Je n’avais pas non plus remis les voiles à bord, ni fait le plein de gas-oil…
Le vent soufflait fort du sud ouest et mon bateau s’est mis à gîter considérablement au point que le moteur s’est désamorcé. Nous avons alors commencé à dériver très rapidement vers les piles du pont. En ce jour de semaine il n’y avait personne sur l’eau. Les téléphones portables n’existaient pas (oui c’était il y a longtemps…).
Par chance une vedette est apparue à ce moment-là, venant précisément de la rivière derrière le pont. Nous avons essayé d’attirer son attention en faisant des signes de détresse avec les bras. Elle a fini par nous voir et nous prendre en remorque jusqu’au ponton à 1 mille à peine. ça m’a coûté quelques verres de whisky au bar. Cher pour l’étudiante fauchée que j’étais, mais bien mérité pour nos sauveteurs.
Appeler à l’aide, oui, et alors?
Après ce petit tour d’horizon du problème, il me semble inopportun de critiquer les skippers de voilier qui demandent assistance pour une panne de moteur.
La seule critique valable pourrait porter sur un défaut de prévention. Mais cela n’est pas si évident pour les navigateurs qui ont encore peu d’expérience. Il y a tant de choses à apprendre pour maîtriser la navigation et la sécurité en mer. En plus ça ne s’arrête jamais, un marin peut progresser durant toute sa vie de marin s’il diversifie ses expériences.
J’aurais plus envie de défendre un certain état d’esprit vis à vis de la responsabilité que nous prenons sur l’eau.
En mer le principe de base est de compter d’abord sur soi pour prévenir et guérir les galères. Il faut donc entretenir le matériel et se former régulièrement. Mais il faut aussi être capable d’appeler à l’aide à temps. Quitte à se rendre compte que la situation n’était pas si critique que cela ensuite.
2 Comments
Didier Levreau
Bonjour,
Je navigue en amateur depuis des années, progressant ( j’espère) un peu à chaque nouvelle sortie en mer. Votre approche de la mer est utile et interessante. Grosso modo nous savons tout cela mais n’échangeons pas assez sur ces sujets et manquons quelques fois de prudence ou de défaut d’anticipation. Utile donc en ces temps de « démocratisation » de la mer et de la plaisance et l’arrivée d’une nouvelle catégorie » d’usagers de la mer » quelques fois plus consommateurs qu’aspirant navigateurs.
Katell
Merci Didier, oui, j’essaie d’écrire pour tout le monde, même si certains de mes articles sont un peu plus pointus.