voilier naviguant dans le Grand Nord devant un iceberg
Choisir et équiper son voilier

Un 4×4 des mers pour naviguer dans le Grand Nord : pourquoi j’ai choisi ce voilier.


L’idée de naviguer dans le Grand Nord peut paraître un peu inhabituelle, voire insensée, car la plupart d’entre nous rêvons de plages immaculées et de plongées merveilleuses au milieu des tortues et des mérous dans le bleu turquoise d’une eau délicieusement tiède.

Quelles raisons étranges peuvent pousser un marin normalement constitué à désirer ardemment s’aventurer au milieu des dépressions et du froid, risquer la collision avec un growler, aborder des côtes non balisées, et supporter le brouillard et l’humidité qui s’insinue jusqu’au fond de son sac de couchage?

Rassurez-vous, mes aspirations vers les mers arctiques ne riment pas nécessairement avec austérité et inconfort. Car, à l’instar de nombreuses autres navigations, l’expérience dépend fortement de la préparation et des ressources dont on s’équipe pour garantir un minimum de confort.

Alors, embarquez avec moi dans cette première aventure : comment choisir un voilier pour une navigation sûre et agréable à travers l’Arctique et l’Atlantique Nord ?? (j’élargis un peu la zone parce que je me connais, et je sais que je ne résisterai pas à l’appel d’une petite escapade aux açores)

Au pied des glaciers

Tout a commencé en l’an 2001, alors que mon odyssée personnelle m’avait conduite au pied des glaciers de la cordillère Darwin en Patagonie.

voiler devant un glacier en Patagonie

Mon compagnon, mon fils de 4 ans et moi-même, avions mené notre sloop ultra-léger dans ces canaux mythiques et ventés. Le point culminant du voyage fut très certainement la remontée du Seno Pia au milieu des petits growlers échappés de l’immense langue de glace bleutée qui glissait imperceptiblement dans l’eau salée du fjord.

Nous avons paradé fièrement au moteur devant cette cathédrale éclatante sous le soleil. Photographié notre voilier sous tous ses bordés et quitté la scène avec la furieuse envie de poursuivre notre voyage jusqu’en Antarctique. La piqûre des glaces était sur le point de nous saisir. Mais notre voilier n’était pas assez solide pour affronter les icebergs aux abords du terrible détroit de Drake.

Je n’ai jamais oublié ce moment, et je me suis promise d’y revenir.

Il est difficile de partager la force irrésistible et la persistance des émotions accumulées lors de ces navigations d’exception.

Comme si ce monument de glace dont la contemplation avait requise beaucoup d’efforts et de remises en question, ne devait plus jamais me quitter. Il condensait à lui seul les sensations et les souvenirs accumulés au cours de 2 années de vagabondage nautique de Brest aux Marquises et retour vers le Chili.

En revenant en France j’ignorais encore que ce voyage allait me transformer à jamais, et que ma réadaptation à la vie “normale” serait si longue et finalement utopique.

Et c’est maintenant, le demi-siècle franchi que je peux à nouveau m’élancer vers ces envoûtantes sirènes. J’avoue avoir tout fait ces dernières années pour que cela se produise, ce blog en est la preuve la plus évidente.

Une nouvelle aventure se dessine, différente, vers le Nord cette fois-ci avec des absences mesurées (3 mois maximum) pour ne pas perdre le fil avec la terre. Pour cela j’avais besoin d’un voilier solide, confortable, plaisant à barrer et à régler, capable d’embarquer quelques amis, mais aussi manœuvrable en solo et qui ne soit pas un gouffre financier.

Le cahier des charges pour naviguer dans le Nord

Le risque lorsqu’on est passionné est de sortir de la rationalité et s’adonner sans limite à l’objet de nos rêves. Or cela mène souvent à des déconvenues

Je suis convaincue que pour choisir un voilier rationnellement, une fois le programme de navigation déterminé, il faut se fixer un cahier des charges avec ses points non négociables et ses éléments de souplesse. En tout cas c’est la technique que j’enseigne dans ma formation “Bien acheter un voilier”, et les retours sont plutôt positifs 😉

Donc je me suis appliquée ma technique à moi-même et voici en gros les caractéristiques que je recherchais pour une navigation sereine dans le Grand Nord (Je vous parlerai dans un autre article de l’équipement).

La solidité:

Des voiliers en polyester ont déjà franchi le passage du Nord-Ouest et ce matériau présente un rapport coût, facilité d’entretien, de réparation, poids et solidité des plus intéressant à ce jour.

Mais, en cas de choc avec un growler, ou d’échouage suite à une erreur de navigation ou à un dérapage de l’ancre, ce n’est pas le matériau de coque idéal. Or j’ai le souhait d’explorer des zones qui ne sont pas toujours très bien cartographiées et où les conditions météo peuvent être difficiles. J’aimerais donc trouver un voilier qui me donne le droit à l’erreur, capable d’encaisser quelques coups, que ce soit la rencontre avec un growler ou les conséquences d’un échouement.

Par exemple, l’acier offre une bien meilleure résistance aux chocs tout en étant facilement réparable, dans la mesure ou ce type de soudure est pratiquée partout dans le monde. En plus ce métal est très bon marché.

Mais il est dense, ce qui fait que pour obtenir un bateau qui ne soit pas trop lourd et donc un minimum performant il vaut mieux viser des bateaux de 12 mètres et plus. Ensuite il a une fâcheuse tendance à rouiller et je n’avais pas envie de guetter les points de rouilles à chaque escale.

L’alu résiste bien au poinçonnement, ne rouille pas et est 3 fois moins lourd que l’acier. On peut augmenter cette résistance en jouant sur l’épaisseur sans trop alourdir le devis de poids parce que des tôles plus rigides demanderont moins de renforts structuraux.En revanche c’est un matériau coûteux,et il est sujet à l’électrolyse si certaines précautions ne sont pas respectées.

J’ai exclu le bois-epoxy pour des raisons de solidité et d’exigences d’entretien et le bois moulé parce que le choix est assez restreint.

Au final je me suis mise en quête d’un 4X4 des mers  en aluminium épais, type Strongall tel qu’en construit le chantier Meta.

Le problème est que très peu de chantiers proposent ce type de matériau… et que la rareté fait monter les prix.

Taille et maniabilité:

Il m’arrive souvent de naviguer en solo, ou à deux, ou avec des novices. Alors je veux pouvoir manœuvrer mon bateau facilement, notamment dans les ports, et me glisser dans des places étroites sans trembler parce que le demi-tour me semblerait impossible. Dans cet état d’esprit et aussi pour des raisons de coût d’entretien, j’ai limité la taille de mon futur bateau à 38 pieds.

Un tirant d’eau limité

Ce conseil m’a été donné par mon ami Christophe, skipper professionnel, qui a convoyé à plusieurs reprises le voilier d’expédition polaire Vagabond depuis l’Arctique. Pour autant je n’avais pas de chiffre précis. Vagabond cale 1,20 mètre de tirant d’eau.

Des performances honorables au près

Dès qu’on sort de la route des alizés il faut s’attendre à naviguer parfois au près. Passionnée de météo et de routage, je sais chercher les routes et les moments les plus favorables pour traverser, mais parfois ces routes n’existent pas. Il peut aussi arriver aussi que la météo se trompe. Bref, quand on prend le chemin des écoliers, il faut pouvoir remonter au vent sur de longues distances, sans que cela prenne l’allure d’une punition.

J’ai donc exclu les dériveurs intégraux de mes recherches. Un bateau à quille relevable aurait été peut-être intéressant, mais bien trop cher pour moi.

Et bien sûr je souhaitais avoir la possibilité d’installer un solent sur étai largable pour le près.

De l’autonomie

Moins le bateau consomme, et plus il produit lui-même ses consommables et dispose de rangements, plus il est autonome. Cela suppose qu’il supporte une charge utile relativement élevée sans que ses performances en soient trop affectées.

Pour mon projet je cherchais un voilier qui puisse tenir 4 à 6 semaines en autonomie totale avec un équipage de 3 à 4 personnes.

Du confort en navigation

Même si j’ai choisi un voilier de taille relativement modeste, je tenais à ce qu’il comporte deux cabines doubles confortables, un carré clair et chaleureux, un beau cabinet de toilette et des rangements à profusion. Mais ce n’est pas tout, m’attendant à des mers un peu rudes, je souhaitais que le cockpit soit bien défendu de l’assaut des vagues et globalement sécurisant. Enfin, s’agissant d’un voilier en aluminium, pour naviguer dans le Nord, il devait absolument être isolé du froid.

Un mouton à 5 pattes?

Dans un souci de transparence il faut que je vous parle de mon budget maximum, bateau prêt à naviguer (sans optimisation pour l’Arctique) je ne voulais pas dépasser les 90 K€.

Pour autant le prix n’était pas le problème principal. La véritable question était: un tel bateau existe t-il?

Quand j’ai commencé à chercher, je n’étais pas particulièrement pressée. J’étais même disposée à pousser jusqu’aux Antilles pour trouver mon bonheur. Mais j’ai assez vite déchanté. La plupart des voiliers en alu épais sont issus du chantier Méta, c’est une spécialité française. Et il n’y en avait aucun sur le marché de l’occasion qui corresponde à mes critères ni à mon budget.

J’ai donc décidé d’élargir ma recherche aux voiliers en aluminium classique. Moins solides, mais quand même toujours plus résistants à l’impact qu’un bateau en polyester.

Avec ce critère assoupli, le voilier disponible et le plus proche de mes critères était un plan Van de Staadt 40 à quille relevable. Mais 40 pieds c’était un peu trop… et l’annonce laissait supposer qu’il nécessitait un sérieux refit.

Au final j’ai programmé des alertes sur différents sites et j’ai décidé d’attendre…

Quand ce que vous cherchez est juste sous votre nez…

Après la première phase de recherches je me suis persuadée que le chemin pour trouver mon futur voilier serait long et difficile. J’imaginais le trouver après bien des déconvenues dans un obscur port de la Baltique ou bien caché aux confins des Caraïbes.

Pourtant j’avais déjà parcouru cette annonce plusieurs fois. Un sloop relativement récent de 35 pieds en aluminium épais, biquille, construit à l’unité et dont le prix m’avait paru trop élevé. Par curiosité j’avais laissé un message au vendeur qui ne m’avait pas donné beaucoup d’informations supplémentaires.

Mis à part le fait que ce voilier se trouvait au sec dans un chantier à 35 minutes de route de chez moi.

Je n’avais donc pas grand chose à perdre à lui rendre une petite visite.  Un peu comme si j’avais matché avec un type de mon quartier à partir d’une liste de critères basiques sur un site de rencontre. J’y suis donc allée sans trop me faire d’illusions.

voilier generic 35 taillé pour naviguer dans le nord

Au premier abord, il ne m’a pas plu.

Ses bouchains taillés à la serpe et ses deux quilles parallèles lui donnaient un air un peu pataud. La peinture de coque et de ponts étaient en assez mauvais état. Le gréement puissant et moderne, avec un mât haut et très avancé  contrastait avec cette rusticité. L’immense bôme m’amenait à imaginer des scénarios d’empannages catastrophiques dans la brise.

un biquille pour naviguer dans le nord

Le propriétaire, venu de Belgique pour l’occasion, était très attaché à son bateau. Menuisier professionnel, il avait fait construire la coque en France, puis l’avait fait acheminer chez lui pour l’aménager lui-même.

L’intérieur était plutôt réussi, confortable, clair et chaleureux, même si les vernis commençaient à montrer quelques signes d’usure.

Bien qu’il ne m’ait pas séduite immédiatement, il correspondait à bon nombre de mes critères pour naviguer dans le Grand Nord. Sauf le prix, et quelques équipements à modifier. Après une seconde visite, accompagnée de Christophe, j’ai obtenu son verdict : il aurait pu choisir ce voilier pour lui-même.

carré du generic 35

Le temps jouait pour moi

Comme je n’étais pas encore entièrement conquise, j’ai décidé d’en offrir un prix nettement plus bas que celui affiché. Sans surprise il a été refusé et il s’en est fallu de peu pour que le propriétaire n’en soit définitivement vexé.

Quoiqu’il en soit je savais qu’avec ses peintures abimées, et ses caractéristiques très affirmées il ne se vendrait pas facilement au prix demandé. Le temps jouait donc pour moi, et pour ne pas trop y penser, j’ai poursuivi tranquillement mes recherches.

Après quatre mois d’échanges, le propriétaire et moi avons trouvé un terrain d’entente. Au fil des discussions, j’ai réalisé à quel point ce voilier était parfait pour moi, tandis que lui commençait à voir les avantages d’une vente rapide. Cette transaction a été douloureuse pour lui. Mais il avait déjà un nouveau projet en tête : un charmant Doris en bois époxy pour naviguer le long des côtes européennes.

Cap sur l’inconnu : Mon programme de navigation

Me voilà donc engagée, la ponceuse sous le bras, pour de nouvelles aventures. J’ignore totalement si je réaliserai tout ce dont je rêve, et je trouve cela très stimulant.

Mon premier cap ? Les Açores. L’idée est simple : naviguer dans une région familière pour apprivoiser mon bateau et anticiper les défis à venir sans prendre de risques inutiles.

Mais ce n’est que le début. Le véritable défi réside dans mon désir ardent d’explorer les eaux glacées du Svalbard en passant par les majestueuses côtes norvégiennes. Et si cela ne suffisait pas à alimenter ma soif d’aventure, je rêve également de découvrir la côte Est du Groenland et de retourner au Québec. Que ce soit par la route du nord, effleurant les glaces, ou par la route des alizés en passant par les Bahamas, rien n’est encore décidé.

carte de l'Arctique

Ensuite ? Le fleuve Saint-Laurent, la beauté sauvage de la péninsule du Labrador, et pour couronner le tout, le mythique passage du Nord-Ouest. Et après ? Qui sait où le vent me mènera…

Le rêve, bien sûr, est grand et parfois vertigineux. Mais quand je regarde ces heures de ponçage qui m’attendent, je suis rapidement ramenée à la réalité.

La Route du Rêve

Chaque aventure maritime commence bien avant le premier souffle de vent dans les voiles. Elle débute avec un rêve, une recherche, une décision et souvent un peu d‘huile de coude.

En partageant ce périple avec vous, j’espère inspirer d’autres à suivre leurs passions, qu’elles mènent à la mer ou ailleurs. Peut-être avez-vous déjà vécu une quête similaire ou peut-être songez-vous à une autre aventure?

J’adorerais connaître votre histoire ou vos projets. Partagez votre expérience ou vos aspirations dans les commentaires ou sur Facebook en taguant ma page pour que je puisse vous lire.  Car en définitive, chaque grande aventure commence par le partage d’une histoire ou d’une anecdote!

Generic 35

Caractéristiques:

  • Plan Luc Bouvet
  • Année 2007
  • Construction: chantier Coqualu
  • Matériau: aluminium 8 mm ép.
  • Longueur: 10,65m
  • Largeur: 4m
  • Tirant d’eau: Version biquille 1,40m
  • Mât: 16,26m
  • GV: 46m2
  • Génois: 29m2
  • Spi asymétrique:90m2
  • Poids lège: 6,9T
  • Réserves d’eau: 190L
  • Réserves de Gas-oil: 145L
  • Moteur: Volvo 30CV
  • 2 Cabines doubles
 

3 Comments

    • Katell

      Un Romanée peut sûrement naviguer dans l’Arctique, si on le prépare bien. Mais c’est une autre génération de voilier, moins habitable, plus lent, très peu performant au près si tu choisis la version PTE, et l’alu est également moins épais. Il y a 25 ans je rêvais de ce bateau, très solide au demeurant.

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *