Voulez-vous un voilier insubmersible?
Tout le monde se souvient du naufrage express de Kevin Escoffier. Le skipper a du abandonner son voilier en moins de 5 minutes pendant le Vendée Globe. lui-même n’en revenait pas. « Les Imoca ne peuvent pas couler » s’était-il répété, incrédule.
Dans les règles de jauge des Imoca en effet il est prévu: « Le bateau doit disposer d’un volume total d’insubmersibilité égal ou supérieur à 105% du déplacement du bateau en configuration lège. »
Ces volumes sont préservés par des cloisons étanches. Comme pour le Titanic, si ces cloisons sautent, le bateau coule.
Mais il existe d’autres manières d’assurer l’insubmersibilité d’un voilier. A tel point que certains voiliers peuvent naviguer remplis d’eau.
Auriez-vous envie de posséder un voilier insubmersible? Ou d’insubmersibiliser votre propre bateau?
Entre contraintes techniques, réglementaires et le surcout final, cela en vaut-il la peine?
Pour vous aider à réfléchir je vous propose ici d’examiner la question en… profondeur 🙂
Insubmersible ou incoulable? Définir l’insubmersibilité
En théorie, selon les dictionnaires, un voilier insubmersible est un voilier qui ne peut pas être submergé.
Autrement dit , il ne peut pas disparaître sous la surface de l’eau. Donc il ne peut pas couler non plus.
Dans la réalité bien réelle il existe au moins deux catégories de voiliers insubmersibles:
- Les voiliers qui ne peuvent pas couler (en principe tous les multicoques habitables, ainsi que certains monocoques)
- Les voiliers qui non seulement ne peuvent pas couler, mais qui en plus sont en capacité de naviguer une fois remplis d’eau.
Mais il existe aussi des réalités réglementaires, aux implications juridiques. Je veux parler de textes et de commissions qui régissent l’homologation de nos voiliers par les Affaires maritimes et des certifications délivrées par des organismes agréés… Or la règlementation »évolue ».
Pour la construction des navires européens il y a un avant et un après 2005, année où les normes nationales ont laissé la place au normes de la communauté européenne, ou normes CE.
En 1987 l’insubmersibilité est devenue obligatoire pour les multicoques habitables homologués en France. La certification exigeait seulement que ces bateaux continuent à flotter une fois retournés.
Jusqu’en 2000, les voiliers pouvaient ainsi obtenir un certificat d’insubmersibilité sur la seule base des calculs théoriques des architectes.
A partir de 2000, il est devenu nécessaire de soumettre les bateaux de plaisance à des tests d’insubmersibilité pour obtenir cette certification.
Le bateau était rempli d’eau avec son équipage sur le pont. Il devait conserver une assiette longitudinale horizontale et rester stable latéralement. Le franc-bord ne devait pas s’enfoncer de plus de 3% de la longueur du bateau.
La certification était alors délivrée pour une certaine catégorie de navigation, et un poids maximal de moteur.
Je vous invite à lire cet article de Bernard Lelièvre si vous voulez retrouver les textes réglementaires antérieurs.
A partir de 2005 avec la normalisation européenne, la certification d’insubmersibilité à disparu, mais pas l’obligation pour les multicoques de ne pas couler s’ils se remplissent d’eau.
De fait la définition réglementaire de l’insubmersibilité à disparu de ces textes, laissant place au concept de flottabilité (directive 2013/53/UE):
« Tous les bateaux de plaisance multicoques habitables qui sont susceptibles de se retourner ont une flottabilité suffisante pour leur permettre de rester à flot en cas de retournement.«
Pour autant quelques chantiers continuent à produire des voiliers insubmersibles, même si ces derniers restent minoritaires sur le marché.
Peut-on se passer d’un radeau de survie sur un voilier insubmersible?
Ce que dit la réglementation
La réglementation française permet aux voiliers homologués insubmersibles, de ne pas embarquer de radeau de survie, tant qu’ils naviguent à la distance d’un abri pour laquelle ils ont été homologués.
« Les navires existants bénéficiant de la reconnaissance d’insubmersibilité et pour lesquels la série a fait l’objet d’une décision d’insubmersibilité par l’administration, ne sont pas tenus d’embarquer le radeau de survie gonflable prescrit par les articles 240-2.05 et 240-2.06, tant qu’ils naviguent dans les limites, en termes d’éloignement d’un abri, de la catégorie de navigation pour laquelle l’insubmersibilité a été reconnue. Un navire neuf identique à un navire reconnu insubmersible continue de bénéficier de cette reconnaissance tant qu’il est fabriqué par le même fabricant. » (Article 240 2.14)
Ceci ne concerne donc que les voiliers homologués avant 2005.
Oui parce que comme je l’écrivais plus haut, après 2005 cette homologation a disparu.
A noter que les bateaux de série construits après cette date mais dont l’insubmersibilité à été homologuée avant 2005 bénéficient aussi de cette exonération.
En principe ces mentions d’homologation figurent sur la plaque d’identité du voilier et sont notées dans les fichiers des affaires maritimes.
Concrètement avec un Etap 32i on peut se passer d’un radeau jusqu’à 200 milles des côtes puisqu’il a été homologué ainsi pour l’ancienne 2e catégorie.
MAIS… il reste un gros mais…
Ce que préconise le (bon) sens marin
Selon la hauteur de l’antenne, généralement celle du mât , une VHF fixe a une portée de 15 à 25 milles. Au delà, sans balise EPIRB ou PLB, nous ne pouvons pas appeler les secours.
Si votre joli Etap prend feu ne serait-ce qu’à 30 milles des côtes, hors portée VHF, vous allez trouver le temps long dans votre annexe. A supposer que vous ayez eu le temps de la gonfler et que la mer ne soit pas trop mauvaise.
D’autre part si sous la pression des vagues et de la carène liquide embarquée votre catamaran de croisière commence à se disloquer, que ferez-vous?
Pour ma part si j’avais un voilier insubmersible d’avant 2005, j’emporterais un radeau de survie pour des navigations au delà de 20 milles des côtes. Même avec une balise PLB ou EPIRB à bord. La vie n’a pas de prix. Et il ne s’agit pas que de celle du skipper mais également de celle de son équipage, et parfois des sauveteurs eux-mêmes.
Comment rendre un voilier insubmersible
Calculer le volume des réserves de flottabilité
Tout commence avec le principe d’Archimède: tout corps plongé dans un liquide reçoit une poussée (en Kg) de bas en haut égale au poids du volume de liquide (en dm3) qu’il déplace.
Prenons un petit voilier d’une tonne. Pour qu’il flotte, il faut que son volume immergé soit supérieur ou égal à son poids. Il pèse 1000 kg, il doit donc déplacer au minimum 1000 dm3 d’eau, qui équivaut à un mètre cube, ou 1000 l d’eau.
Ceci est valable pour l’eau douce dont la masse volumique est bien de 1kg/l ou 1000kg par mètre cube.
L’eau de mer a une masse volumique légèrement supérieure, de 1020kg/m3 à 1029kg/m3 selon sa salinité.
Donc le même voilier devra déplacer un tout petit peu moins d’eau de mer que d’eau douce pour recevoir une poussée d’une tonne. Mais ça on le savait empiriquement: on flotte mieux dans l’eau de mer que dans l’eau douce.
Mais négligeons ce point car d’une part la différence est minime et d’autre part nous tenons à ce que nos voiliers flottent également sur les lacs et les rivières.
Pour obtenir un voilier incoulable, il faudra donc lui ménager des réserves de flottabilité qui occupent un volume légèrement supérieur à son poids total en charge.
Oui parce que s’il ce volume est rigoureusement égal au poids du bateau, il va flotter au raz de l’eau, voire entre deux eaux. Ce qui n’est pas confortable du tout pour attendre les secours.
Pour un voilier de 5 tonnes lège, on devra donc rajouter le poids des équipiers, de leur équipement et de tout l’avitaillement, eau, carburant, outil, etc.
Très empiriquement j’évalue ce poids pour 4 équipiers: 100kg/personne sac compris. Eau: 300l. Carburant: 150l. Annexe, Hors-bord, outils, survie, nourriture etc.: 500kg.
Soit avec un « léger »pied de pilote, 1,5 tonnes de charge supplémentaire.
Pour que notre voilier de 5 tonnes soit insubmersible, nous devrons prévoir des réserves de flottabilité supérieures ou égales à 6,5m3 !
Un volume qui reste à faire valider par un architecte. Bien sûr à bord du bateau il y a du bois, des pare-battages qui constituent une petite réserve supplémentaire, mais est-ce significatif?
Par ailleurs une coque ou un pont construite en sandwich vous donne un net avantage. Il faudra alors connaître le volume de mousse intégré dans la coque pour le déduire des réserves à rajouter.
Quoiqu’il en soit, cela représente un volume considérable, surtout à bord d’un monocoque où la place est comptée. On comprend aussi tout de suite pourquoi il a été possible d’imposer la norme d’insubmersibilité aux catamarans (même si c’est retourné).
Quant à fabriquer des voiliers capables de naviguer remplis d’eau, il faut des réserves de flottabilité bien supérieures, et savamment réparties pour lui assurer une bonne stabilité. Cette prouesse technique a un coût qui justifie le prix plus élevé de tels voiliers. D’ailleurs depuis la fermeture du chantier Etap, je ne sais pas s’il se construit encore de tels voiliers.
La répartition des réserves de flottabilité
Un voilier insubmersible c’est bien, horizontal c’est mieux.
Il est donc nécessaire de répartir les réserves de flottabilité de sorte à maintenir l’assiette et la stabilité du bateau lorsqu’il est plein d’eau.
Ceci oblige à en disposer en avant, en arrière et sur les côtés. La hauteur à laquelle elles sont placées joue également.
Cloisons étanches et mousse à cellules fermées
Il existe plusieurs manières de créer des réserves de flottabilité. On peut en choisir un seul type où en mixer plusieurs.
Les cloisons étanches.
Situées à l’avant et à l’arrière des voiliers elles peuvent aussi jouer le rôle de crash-box en cas de collision.
Il faut qu’elles soient assez solides pour résister à la pression de l’eau et vraiment étanches.
Les portes étanches
A bord de notre voilier en sandwich mousse-polyester (mais pas insubmersible) nous avions prévu une porte étanche pour isoler le local technique à l’avant du reste du bateau. Nous sommes partis autour du monde avec cette porte, sans l’avoir installée. Et nous ne l’avons jamais fait car nous n’arrivions pas à résoudre la question de son étanchéité.
Cela étant, à condition de faire circuler les câbles électriques au plafond, il pourrait être intéressant de disposer de portes étanches pour fermer les cabines arrières et avant de nos voiliers en cas d’invasion de l’eau. Au vu des difficultés techniques et du surcoût probable, ce traitement doit être réservé aux grands voiliers d’expédition ou de croisières extrêmes.
La mousse à cellule fermée et le polystyrène extrudé
Les constructeurs utilisent des panneaux de mousse à cellule fermée qui ne s’imbibe pas ou très peu lorsqu’elle est plongée dans l’eau.
Elle peut être utilisée dès la construction dans le sandwich de la coque et du pont. Cette solution est très intéressante car elle permet d’économiser de la place. De plus la mousse isole efficacement la coque du froid et du bruit. Cette solution a été retenue par le chantier Etap.
D’autres chantiers disposent du polystyrène extrudé dans les coffres du voilier. C’est le cas du Pogo 8,50 qui perd au passage énormément d’espaces de rangement.
Par contre si vous voulez rendre vous-même votre voilier insubmersible, évitez la mousse polyuréthane en bombe. La mousse augmente de volume en séchant et peut endommager sérieusement les aménagements. De plus elle se désagrège au fil du temps et s’imbibe d’eau.
Les réserves de flottabilité gonflables
Utilisées sur les embarcations légères, comme les optimists ou les semi-rigides, ces sacs gonflables ne sont pas prévus pour nos voiliers habitables;
Il semble qu’il y ait eu des kits de flottabilité vendus au Royaume-Uni, comprenant des bouteilles à air comprimé à percuter pour gonfler ces bouées en cas de naufrage.
Au salon nautique de 2009 un engin de ce type était proposé sous le nom de Paciflot. Une bouée était vendue 1250€.
Il en fallait 4, soit 5000€ pour faire flotter un voilier de 10 mètres.
L’autre inconvénient apparent réside dans la place que nécessite le déploiement de ces bouées. Il faudrait en inventer de formes différentes, pour les adapter aux cabines et au carré des voiliers sans qu’elles butent sur les aménagements.
Pour autant les projets de création de ce type d’airbags ne manquent pas sur les forums de plaisanciers de toutes nationalités, mais le procédé ne semble plus être commercialisé pour le moment.
Avantages et inconvénients des voiliers insubmersibles
Savoir qu’on ne peut pas couler (à moins d’un incendie, ou d’une dislocation totale du bateau), est assez rassurant a priori.
Pouvoir rentrer au port même avec une grosse brèche dans la coque est encore plus souhaitable. Malheureusement très peu de bateaux insubmersibles en sont capables.
Reste qu’il est beaucoup plus « confortable » et sûr d’attendre les secours sur le pont de son voilier a demi-coulé que dans un radeau de survie.
Effectivement à ce stade, le bateau ne risque pas de se retourner, ni de se dégonfler. Et il est plus facile à repérer par les secours.
Pour vous en faire une idée vous pouvez lire le témoignage du skipper du Pogo 8,50 Zinzolin, secouru par un cargo pendant une Transquadra.
Bonus non négligeable pour les voiliers en sandwich divinycell ou polyuréthane: ils sont très bien isolés. Pas d’excès de chaleur l’été, ni de froid l’hiver, et une meilleure insonorisation que les autres bateaux.
En réalité si le procédé n’avait aucun inconvénient, nos voiliers seraient tous insubmersibles.
Mais voilà, ces voiliers sont souvent plus chers à l’achat, surtout s’ils sont construits en sandwich.
Ensuite les réserves de flottabilité réduisent de manière significative la place pour ranger du matériel.
Donc il faut vraiment se poser la question:
Pour quel programme de navigation l’insubmersibilité devient-elle vraiment intéressante?
Soyons réaliste: le risque de couler n’est pas très élevé. Un bon entretien des vannes, une veille attentive, voilà déjà pas mal de sources de naufrage évitées.
Nous pouvons aussi équiper nos bateaux de pompes de cales efficaces et de crash-box.
Pour un programme côtier et semi-hauturier, si par malheur ces mesures ne suffisaient pas, les secours ne sont pas si loin.
Par contre en navigation hauturière ce n’est plus la même histoire. Un éventuel sauvetage prendra du temps et les risques de rencontre avec des OFNIS augmentent en même temps que le commerce maritime se développe.
L’insubmersibilité est un atout indéniable pour la sécurité des voiliers hauturiers.
Nous nous trouvons alors devant un paradoxe.
En effet les voiliers monocoques de voyage insubmersibles sont encore rares.
De plus avec un tel programme les navigateurs ont besoin d’un gros volume de rangement. Bien plus qu’en navigation côtière.
Finalement nous trouverons plus facilement des voiliers insubmersibles, pour un programme côtier, alors que c’est au large que nous en aurions le plus besoin….
Quelques voiliers insubmersibles
Tous les catamarans habitables doivent l’être depuis 1987, du moins en Europe.
Le chantier belge Etap a produit toute une gamme de voiliers insubmersibles ET navigables remplis d’eau. Coque et pont sont en sandwich mousse-polyester.
Les Etap s’étendent sur une gamme de voiliers de 21 à 48 pieds. Mais le chantier a fermé en 2009 sans être repris.
Le chantier britannique Sadler and son a également conçu les voiliers Sadler 26 et 29 et réputés navigables remplis d’eau. Il existe également un Sadler 34 (1988) insubmersible mais j’ignore s’il peut naviguer rempli d’eau. Comme les Etap ils sont construits en sandwich mousse-polyester.
Les first 210 et 211.
Les voiliers issus de la jauge mini 6.50 sont tous insubmersibles.
Idb marine construit des voiliers incoulables de 6,50m à 11m: Maxi 6.50m, Malango et Mojito.
Pogostructure propose aussi des voiliers de croisière rapide insubmersibles.
9 Comments
Samuel Longin
Merci pour cet article super clair et complet ! Je ne m’étais pas encore posé la questions de l’insubmersibilité de ma future embarcation et j’ai déjà les réponses à mes questions ^^
Gulien
Super article, complet et agréable à lire en plus 🙂
Outre les vannes et les passes coques j’ajouterai la sortie de l’arbre presse étoupe (je me suis retrouvé dans une baignoire avec un sangria avec une voie d’eau par là !).
Sinon je suis allé voir les sadler et je me demande si le 32 qu’on retrouve en occasion est insubmersible (ou incoulable) ?
@+ et merci
Katell
Je ne crois pas qu’il le soit, alors que le 26 et le 34 le sont. Il me semble que le 32 a été construit avant que le chantier ne décide de construire des voiliers incoulables ‘unsinkable’ ce serait le cas des 26, 29 et 34. Voyez ici https://www.lucasyachting.co.uk/sadler-and-starlight/
ALEXANDRE
Bonjour. Le Challenger Horizon est insublersible ?
Katell
Oui, et c’est un voilier assez marin.
Plus d’info sur ce voilier ici
Stéphane
Merci pour cet article très complet.
S’agissant de la règlementation, il faut aussi préciser que les navires insubmersibles doivent être dotés d’une plaque signalétique spécifique supplémentaire, qui elle seule permet de justifier d’un point de vue réglementaire les exemptions autorisées en terme d’armement de sécurité.
SergeVALENTIN
Bonjour, le Sun WAy 21 est aussi insubmersible….ou incoulable!!!
Katell
Les deux mon capitaine 🙂 Il est peu probable qu’il puisse naviguer une fois rempli d’eau, sinon je suppose qu’il y aurait des com’ sur ce point et je n’en ai pas trouvé.
French Life Community
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