sécurité

A vous qui naviguez en solitaire sans gilet de sauvetage


Cher-e lecteur ou lectrice, voici ce que j’ai  lu sous l’un de mes posts Facebook concernant le port du gilet de sauvetage:

“Pas pour moi…je navigue en solo et préfère ne pas mettre de gilet, quitte à mourir il vaut mieux que ce soit bref !!!”

Je ne sais pas ce que vous en pensez de votre côté, mais ce commentaire un peu radical m’a donné envie d’écrire une lettre à l’intention des navigateurs solitaires.

En 1998, quand Eric Tabarly est tombé à l’eau,

je lui en ai terriblement voulu de ne pas avoir porté de gilet de sauvetage . En y ajoutant une lampe flash, il aurait pu être sauvé. Il avait alors 67 ans: peut-être est-ce ainsi qu’il souhaitait mourir?

Ce grand marin faisait partie des idoles de mes parents et de la petite fille que j’ai été. Il a suscité l’admiration et inspiré des milliers d’amoureux de la navigation. Pour autant il s’est senti libre de prendre les risques qu’il voulait, indépendamment des conséquences de son choix sur ses contemporains et ceux qui les suivraient. Je ne le juge pas, il avait ses raisons, mais je ne partage pas cette vision de la sécurité en mer.

A bord de Pen Duick cette nuit-là, ses équipiers ont quadrillé la zone avec angoisse alors qu’un vent fort s’était levé sur la mer d’Irlande, Des cargos se sont déroutés. Des hélicoptères ont décollé. Un mois plus tard un chalutier ramenait le corps sans vie du marin dans ses filets… drôle de prise pour ces pêcheurs.

Même en équipage, l’homme à la mer demeure une situation à l’issue incertaine, encore plus si l’homme en question ne dispose d’aucun équipement de sécurité.

Pour un navigateur solitaire l’affaire peut paraître jouée d’avance.

S’il est harnaché au moment de la chute, il craindra d’être traîné par sa longe comme une dorade coryphène piégée par un hameçon.

S’il porte un gilet de sauvetage, sans espoir d’être secouru rapidement,il devra attendre plus longtemps que l’hypothermie ait raison de ses forces. Enfin il pourra s’endormir d’un sommeil définitif et sans souffrance.

Son bateau se mettra alors à dériver, constituant un danger pour la navigation, jusqu’au jour où il répandra ses quelques litres de gas-oil sur la côte où il finira par s’échouer.

Bien sûr ne le voyant pas revenir, ses proches déclencheront des secours. A leur tour de connaître la peur et l’angoisse terrible de ne pas savoir. espoir et désespoir les saisiront tour à tour jusqu’à la résignation.

“Disparu en mer”. 

Cette issue tragique peut être évitée.

Tout d’abord le navigateur solitaire peut s’harnacher de manière à ce qu’il ne puisse pas tomber à l’eau.

Avec une longe assez courte et une ligne de vie placée au milieu du pont, et non le long  du liston, cela est tout à fait envisageable sur la plupart des voiliers.

Mais s’il devait tout de même passer par dessus bord, pour ne pas finir comme la dorade, il aura pris soin de s’équiper d’une longe dont le mousqueton est largable sous tension.

Il verra alors son voilier s’éloigner, porté par les épais boudins de son gilet gonflable de 275 newtons. Un peu entravé dans ses gestes, il parviendra cependant à déclencher sa balise individuelle, AIS ou GSM  s’il navigue en zone côtière, EPIRB s’il préfère les grandes traversées. Peut-être même se parviendra t-il à composer le 196 sur l’écran tactile de son téléphone mobile étanche. Avec l’eau ça sera difficile, mais pas impossible non plus. Ou bien trouvera t-il une VHF portable étanche dans une poche de son ciré?

Les secours s’organiseront alors pour le récupérer. Ses chances de survies seront fonction de la température de l’eau et du temps que les sauveteurs mettront à le rejoindre.

Au large,dans des eaux froides, malgré cet équipement, le navigateur solitaire aura toutes les chances de mourir d’hypothermie avant qu’on ait pu le repêcher. A moins peut-être qu’il ne porte une combinaison de survie.

Modifions donc notre scénario pour augmenter encore sa résilience.

Imaginons que notre marin porte au poignet un capteur ou une télécommande reliés au pilote. Quand son bateau se mettra face au vent, il ne lui restera qu’à tirer sur la longe ou nager jusqu’à son bord. En espérant que le bateau ne dérive pas trop vite évidemment…

Ceci n’est pas un récit de science-fiction. Toutes les technologies que je cite ici existent.

Les moyens de ne pas tomber à l’eau et ceux de se sauver une fois à l’eau, même en solitaire, sont donc fort nombreux. Tellement que je ne vais pas vous en faire une liste qui sera périmée dans moins d’un an. Je vous suggère plutôt d’aller vous renseigner ici par exemple ou auprès de votre shipchandler préféré.

A l’inverse, considérer que tout est perdu d’avance aura pour conséquence de générer beaucoup d’inquiétude, de souffrances, d’efforts inutiles du côté des sauveteurs, et des risques de provoquer une collision et de la pollution.

Quand tout n’est pas perdu:

Même sans arsenal technologique, il est parfois possible de se tirer d’affaire avec les moyens du bord (même quand le bord s’est fait la malle). Saviez-vous qu’un jeune allemand tombé à l’eau au large de la Nouvelle-Zélande sans gilet de sauvetage, a réussi à s’en fabriquer un avec.. son jean!

Il a utilisé une technique de l’armée américaine qui consiste à nouer son pantalon autour du cou et à le gonfler ensuite en tapant sur l’eau.

Ainsi la résignation n’est certainement pas la seule option qui s’offre au navigateur solitaire qui aurait le malheur de passer par-dessus bord. Prévenir l’issue funeste demande en revanche une certaine dose d’optimisme, de la réflexion pour inventer un  protocole de sécurité sur mesure et d’investir dans un équipement adapté.

Pourrai-je compter sur vous cher lecteur ou lectrice pour lui faire part des alternatives auxquelles il n’aura peut-être pas pensé?

La solidarité entre gens de mer passe aussi par ces petites discussions.

Bonnes navigations!


15 Comments

  • Vincent BELEC

    Bonjour Katell,

    Pour toute navigation je demande à mes équipiers de porter un gilet et la plus part du temps c’est bien accepté. Il arrive qu’un équipier refuse de le porter. Dans ce cas je lui demande de ne pas participer aux manœuvres et de rester dans le cockpit.

    Cordialement
    Vincent

  • Eric P

    En solo, systèmatiquement. En double, à 2 sur le pont au dessus de 10/12, si seul sur le pont, oui, je le porte systèmatiquement et dès qu’il y a du vent au portant, surtout sous spi. De nuit, systèmatiquement avec au mini une longe à poste ds le cockpit et une de dispo dans la descente pour la brancher s’il faut aller à l’avant

  • Mr François BAILLY-COMTE

    Bonjour,
    j’ai traversé l’atlantique en solo sur un Dufour 3800.. avec un régulateur d’allure.. donc on ne peut pas le faire passer bout au vent avec une télécommande..
    C’était ma hantise de sortir du cockpit et de tomber à l’eau retenu pendant des heures au bout de ma longe.. qui se serait bloqué sur un chandelier..
    je faisais toutes les manoeuvre de pont avec gilet, longe et balise! et couteau
    Pour me rassurer, car jamais testé, il y avait un bout qui courait de l’étrave à l’arrière du bateau. (des deux cotés) 10cm au dessus de la ligne de flotaison…. l’idée c’était que en cas de chute , aprés avoir accroché le deuxième mousqueton de la longe sur le bout.. je pouvais avec un couteau couper la première sangle… aprés normalement je glissais sur l’AR..
    le pari c’est qu’avec l’énergie du désespoir, je puisse intervenir sur la pale du régulateur.. aprés il y avait une echelle souple qui était sur l’Arrière retenu par un tout petit sandow..
    Je suis trés content de pas avoir eu à tester ..mais ça m’a bien rassuré..
    Sinon je pense que la prudence c’est pas le solo.. mais j’adore ça ..

    en manche , j’ai plus ce dispositif.. mais je sort toujours du cockpit avec ma balise perso autour du cou.
    voilà… bonne journée…

  • Eric

    Bonjour Katell,

    Merci pour toutes vos interventions pleines de bon sens pragmatique, donc toujours faciles à mettre en oeuvre.

    Personnellement, j’utilise une double longe (courte et longue) capelée sur mon harnas gonflable, pour toujours être croché quelque part, façon accrobranche avec toujours au moins un point sécurisé.

    Cordialement
    Eric

  • François

    Bonjour Katell,

    tu fais bien de rappeler ce point crucial de navigation.

    À bord de mon bateau, aucune dérogation à la règle du port du gilet dès le largage des amarres n’est possible.
    Quel que soit le temps et pour tous, y compris, et en premier abord, pour le capitaine qui montre l’exemple.
    Si tu n’acceptes pas, tu ne montes pas à bord.

    Et selon les conditions météo, l’état de la mer et l’état des équipiers, c’est longe clipsée au fond du cockpit qui s’impose dès que le capitaine le décide. Si par exemple je dois descendre en cabine et que je n’ai qu’un seul équipier sur le pont, il doit être « en longe ».

    Comme je navigue la majeure partie du temps en solitaire, j’ai dans mon gilet, une balise plb. C’est la meilleure configuration pour mon usage.

    Pour l’instant je n’ai pas eu à faire face à une mutinerie.

    François

  • laurent

    Hello Katell,

    Oui les lignes de vies sont hyper mal positionnées sur la plupart des voiliers de série. Quand il y en a. Mais en cas de pb il est possible de mousquetonner tout ce qui traine au centre du pont, dont les drisses qui permettront de ne pas tomber à l’eau. Il faut juste y penser. Perso je ne mets rien avant F7 si la mer reste gérable mais toujours la nuit, surtout seul pendant le quart (en plus longé of course). J’ai investi dans une plb car jamais présente sur les bateau de loc et j’en achèterai une 2° AIS pour la saison prochaine. Je ne comprends pas d’ailleurs pourquoi elles ne font pas les 2 Ais+SAT???

  • Daniel

    Bonjour

    Je n’ai jamais porté de gilet de sauvetage, et je n’ai jamais imposé à mes équioiers d’en porter, et je ne me souviens pas que quelqu’un en ai porté à mon bord. Toutefois, j’avais toujours les gilets règlementaires à bord, mais personne n’en demandait jamais.
    Je suis tombé une fois à l’eau, lors d’une prise de ris sur mon First Class 8. Mon équipage a choqué le voile, et je suis revenu sur be bateau en une minute. C’était facile de remonter sur ce voilier avec son arrière ouvert.

    Ensuite, en vue de la sécutité, j’ai appris à es équipages à stopper le bateau rapidement, pour ne pas séloigner trop vite d’une personne qui serait tombé à l’eau.
    Dans certaines conditions (genre force 6 et plus au portant sous spi), j’ai demandé à les équipiers de porter des harnais.
    J »ai aussi eu et utilisé des vestes de quart flottantes,

    • Katell

      C’est intéressant de voir que si le skipper ne propose pas de porter de gilets, les équipiers n’en demandent pas. Vous avez des lignes de vie sur le Class 8?

  • François

    À une époque il venait à l’idée de personne de mettre un gilet.
    Ou si peu.
    Petit à petit, l’age venant et les nouveautés aidant, le port d’un gilet n’est plus une contrainte.

    Sur le class8, on peut imaginer qu’il y a des régatiers et donc du personnel capable de manoeuvrer rapidement un bateau. Ce n’est pas forcément le cas sur de la croisière peinard où tout repose sur les capacités du capitaine même si les matelots savent manoeuvrer.

    Certains bateaux n’ont pas de filière non plus. Regardez les gros bateaux lors des régates style voiles de st tropez.
    On remplace le port du gilet par une tenue bien seillante sans un faux pli.

  • Emilio

    Il y a un certain temps, lorsque les balises AIS et autres n’existaient pas encore, j’avais un voilier avec une barre franche, voici ce que j’ai fait : 40 mètres de cordes de ski nautique, ce qui a l’avantage de flotter et d’être en plus très fluo. Et au bout, un petit flotteur de 10 cm de diamètre.
    Un avantage sous-jacent : même si l’on met le moteur, le tout flotte et ne se prend pas dans l’hélice.
    Donc, un nœud de 8 tous les demi-mètres, sur cette corde de 40 m.
    Le flotter permet de bien visualiser la corde depuis l’eau, sa position, sa forme (en légère virgule), et surtout, sa fin !
    L’ensemble est mis en vrac dans un sac à bout, présent à demeure sur le balcon arrière : mise en œuvre immédiate en lançant le tout à la baille, l’avance du voilier faisant le boulot, et remisage tout aussi rapide dans le sac suscité, par le mode « anti-nœud » (faire des allers-retours avec le filin, sans le lover).
    Réduction de vitesse par la corde + le flotteur au bout : trop faible pour être mesuré, foi de GPS.
    Au préalable, il est fixé par un simple sandow au balcon, pour ne pas tirer en usage normal ni sur le pilote, ni sur la barre.
    Mais ce n’est pas tout.
    Si l’on en reste là, dès 3 nœuds, on est parti pour justement faire du ski nautique, derrière le voilier, jusqu’ à épuisement ;-). Souvenez-vous de nos seaux jetés à la baille en route, galère pour le remonter !
    Aussi mon bout passe, avec un simple mousqueton très basique, sous le bras du pilote automatique, puis est accroché à la barre franche (et enfin après, il y a encore du mou pour accrocher finalement le bout de cette corde à un solide taquet).
    Bon, je tombe à l’eau. Harg ! J’ai encore le temps de récupérer la corde, qui se bloque dans mes mains lorsque j’arrive sur un nœud, cette corde se tend violemment, décrochant par en-dessous le bras du pilote, puis ensuite tire la barre en butée, ce qui fait un voilier tout désorganisé presque à l’arrêt.
    Et là, enfin, on peut remonter avec cette corde nœud par nœud, jusqu’à l’arrière de son voilier (le mien avaient une échelle de bain accessible depuis l’eau). A noter au passage qu’en solitaire (ou seul en veille, ce qui revient au même), je ne porte pas de gilet, car cela marche vraiment que seulement si l’on peut être bien libéré pour faire quelques brasses façon compet, histoire de saisir la corde très rapidement quand même.
    Je l’ai utilisé sur 2 ans de voyage en solitaire, où que je sois.
    Je déroulais aussi « à la demande » les 40 m en proche côtier, s’il y avait du trafic : 2 mètres pour 2-3 nœuds, 30 m pour 4-5 kns (à partir d’ici le harnais est croché systématiquement pour les manœuvres sur le pont), 40 pour 5-7 kns. Si pas de trafic, le tout est la baille, même par petit vent.
    Pour savoir le nombre de mètres nécessaires derrière le bateau, un essai en situation réelle, avec des équipiers pouvant manœuvrer à bord au cas où, et noter aussi ce qui a bien marché du point vue matos dans le cockpit (le mousqueton, etc…), est à réaliser avant, en proche côtier de préférence.
    Si le bateau est un container, peut-être 30 m suffisent, mais pour un course croisière, peut-être 50 m. Prévoir de toute façon large, pour que cela puisse bien fonctionner.
    J’ai failli l’utiliser par vent arrière, en plein atlantique par petite pétole. Le voilier avançait plutôt bien au portant, et une vague différente des autres m’avait déséquilibré l’espace d’une micro-seconde : le hauban à proximité m’a permis de me rattraper de justesse ; je ne l’ai donc pas essayé autre qu’en mode « essai en situation réelle » dit plus haut.
    Ah, aussi : j’ai convoyé un bateau avec un autre équipier, Antilles/Toulon.
    Et bien c’est aussi du solitaire, mais à mis temps : pendant que l’un ronfle, l’autre veille, fait les manœuvres possibles seules (c’est-à-dire à peu près tout…). Une fois tombé à la baille, lancer le cri de tarzan n’aura guère d’effet sur le sommeil du copain ;-).
    Bon voilà, en plus de ce qui est dit plus haut, tout cela ne coûte vraiment pas grand-chose, s’installe en moins d’une heure, et offre quand même une belle protection basique à la ‘Moitessier’, mais terriblement efficace, y compris en plein milieu des océans…

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