Perdre son gouvernail en mer: 3 stratégies pour barrer un voilier sans safran
Supposons que vous perdiez votre gouvernail en pleine navigation.
Vous croyez que ça ne peut pas vous arriver?
C’est pourtant devenu d’une actualité brûlante depuis que les orques s’exercent à la chasse sur nos bateaux. Depuis le début de leur entraînement en 2021, on compte 4 voiliers coulés, et des dizaines de safrans massacrés, paix à leurs âmes de polyester.
Bien sûr, en dehors des orques, une rencontre malheureuse avec un OFNI, voire un talonnage peuvent tout aussi bien vous priver de gouvernail.
Vous espérez vous en sortir juste en équilibrant les voiles?
Je vous arrête tout de suite, avec un voilier habitable vous n’avez aucune chance d’y arriver.
Quant au remorquage, ce n’est vraiment pas toujours la meilleure des idées.
Le remorquage : une « solution miracle » qui peut couler votre bateau
D’abord parce que remorquer un voilier sans safran est particulièrement difficile. Le bateau se met à zigzaguer de manière incontrôlable au risque de casser la remorque. La solution est alors de le remorquer en marche arrière.
Je peux ainsi vous raconter l’histoire d’un First 31.7 tout neuf dont le skipper avait sollicité un remorquage après une rupture de la mèche de safran, laquelle avait occasionné (dans 35 nœuds de vent) un violent empannage suivi d’un démâtage immédiat.
Et comme si ça ne suffisait pas, le remorquage du voilier par l’arrière à provoqué une entrée d’eau de mer massive dans le moteur par l’orifice d’échappement. Sans parler des winchs malmenés par les aussières de remorquage…
Enfin vous vous doutez bien que ce service a un coût non négligeable. En mer le sauvetage des vies humaines est généralement pris en charge par les États, mais pas celui des biens.
Mais vous pouvez aussi bien perdre votre safran au large qu’en navigation côtière.
Et là vous n’avez plus que 2 solutions:
- Parvenir quand même à vous diriger et vous rapprocher d’un port,
- Déclencher les secours pour une évacuation et un abandon du bateau.
Laquelle choisissez-vous 😉 ?
Car savez-vous qu’avec un peu de préparation et un minimum de matériel à bord, il est tout à fait possible de diriger un voilier SANS son gouvernail?
Il existe plusieurs solutions pour cela, plus ou moins coûteuses ou efficaces.
J’ai classé celles qui m’ont paru les plus crédibles suivant 3 stratégies:
- La réparation de fortune
- La redondance
- L’entraînement
La perte d’un gouvernail en mer est un scénario redouté par tous les navigateurs. Pour vous aider à être prêt en toutes circonstances, retrouvez dans la Table à carte : Les 3 stratégies en cas de perte de gouvernail, un plan d’entraînement détaillé et la liste des ressources et vidéo qui documentent cet article |
1. Construire un gouvernail de fortune en mer
Remplacer un gouvernail cassé par un autre, même bricolé, semble être une solution logique. Toutefois, cette idée comporte plusieurs inconvénients non négligeables :
- Vous devrez sacrifier une partie de vos planchers.
- Votre tangon sera perforé de nombreux trous.
- Le bois, par nature, flotte : il faudra donc lester ou fixer solidement l’ensemble pour qu’il s’enfonce suffisamment dans l’eau.
- Manœuvrer un tel gouvernail exigera une force digne d’Hercule.
En 2020, lors de leur transat retour à bord de leur Océanis 390, Nadine et Rodolphe Thorel perdent leur safran à 300 milles des Bermudes. En s’inspirant du guide de manœuvre de Tabarly, ils parviennent à fabriquer un gouvernail de fortune et à gagner l’archipel en 4 jours.
Voici un résumé de leur montage:
Un tangon et des planches pour vous faire les bras 💪
– Sur l’extrémité supérieure du tangon : fixation d’une barre franche de secours, positionnée perpendiculairement et maintenue avec sangles et pontets pour éviter la rotation
– Pour le safran lui-même : deux planches de table (80 x 30 cm) fixées de chaque côté du tangon en forme de triangle
– Système de maintien : pontets en U fixés au tangon et garcette en Dyneema pour empêcher la rotation des planches
– Installation de poulies et palans sur le portique pour démultiplier les forces et permettre un contrôle par une seule personne
Les forces en jeu sont importantes. Même sous voilure réduite, les contraintes sur les fixations sont importantes. Les Thorel ont dû adapter leur navigation : sous grand-voile arisée au début, puis en utilisant le génois seul à contre au portant pour stabiliser leur route. L’appui du moteur s’est révélé précieux pour maintenir une vitesse constante.
💡Et pourquoi pas une godille?
Ah oui, tiens pourquoi pas?
Mais à mon avis, uniquement sur des bateaux légers, de moins de 8 mètres et dans le petit temps. Déjà parce que la pelle d’une godille n’a pas une très grande surface comparativement à un safran. L’avantage: ça ne coûte presque rien et c’est facile à mettre en œuvre. Essayez et dites-moi si ça marche sur votre bateau!
2. Installer un gouvernail de secours avant le départ
Les règles de la course au large obligent chaque bateau à s’équiper d’une barre de secours et d’une méthode éprouvée de dépannage pour gouverner avec le gouvernail hors d’usage.
Sur les mini-transats, les safrans sont à l’extérieur du tableau arrière, ce qui permet aux coureurs de rajouter assez facilement des fémelots de secours.
Grâce à cette précaution Yoann Tricault a pu terminer sa course en 2013.
Problème: Il peut être très difficile de poser un safran de secours sur le tableau arrière dans une mer forte.
Aucune réparation n’étant possible de nuit dans ces conditions de mer(…) Le lendemain matin, la mer et le vent se sont un peu calmés et j’entreprends la mise en place de mon safran de secours. Deux heures d’effort penché dans l’eau à l’arrière du bateau pour trouver la bonne méthode et tout remettre en place.
L’idéal serait quand même d’éviter de jouer les contorsionnistes, voire de risquer ses doigts dans cette opération. Or beaucoup de systèmes de safran de secours amovible comportent ce risque.
Les solutions du commerce
Pour régler ce problème certains inventeurs commercialisent pour les voiliers de plaisance des systèmes de fixation robustes, qui permettent de naviguer avec le safran de secours déjà à poste, mais simplement relevé.
Ces solutions sont assez chères (autour de 4000€) pour un matériel que l’on espère ne jamais avoir à utiliser (mais finalement tout comme le radeau de survie, les balises de détresse etc.), et surtout encombrantes car il faut poser une structure en inox assez imposante sur le tableau arrière.
En revanche, les possesseurs d’un régulateur d’allure Hydrovane n’auront pas ce problème, vu qu’ils ont déjà cette structure en place sur leur tableau arrière, et que sa pale immergée est conçue pour servir de safran de secours au besoin.
Difficile de vous donner le prix d’un Hydrovane, car il est conçu sur mesure pour chaque voilier, mais comptez entre 5K€ et 7 K€.
💡Et pourquoi pas me fabriquer moi-même un safran sur fémelot comme Yoann Tricault?
Pourquoi pas en effet… Si le tableau arrière de votre voilier peut l’accueillir, ne vous gênez pas. Comme pour la godille, cette solution ne conviendra qu’à des voiliers de taille modeste.
Et puis tant qu’à faire pourquoi ne pas essayer plutôt de vous confectionner un gouvernail d’urgence avec une vieille voile et 2 tubes?
Le soft rudder
Je vous laisse découvrir le guide de construction du soft rudder de Paul Kamen ici
Il s’agit d’un gouvernail qui ne permettra pas au bateau de continuer à régater, mais il est très bon marché et facile à construire, ainsi qu’un poids léger et facile à ranger. Il a été testé sur un Merit 25 et sur un J-24 avec le gouvernail principal enlevé avec de très bons résultats. Des versions plus grandes ont été construites pour un Cal-40, un Santa Cruz 52 et un Beneteau 57.
Mais attendez la fin de l’article avant de sortir la caisse à clous, car il existe une solution encore plus simple, et c’est ma préférée!
3. Remplacer son safran cassé par un traînard
Le principe est simple sur le papier: Il s’agit d’utiliser une ancre flottante ou tout objet capable de générer une traînée suffisante à l’arrière de votre voilier pour stabiliser sa route et le diriger.
Les configurations peuvent varier selon les bateaux, mais voici le schéma de l’installation de base.
La chaîne (environ 5 mètres) sert à lester le traînard pour qu’il s’enfonce suffisamment dans l’eau. Mais le poids à utiliser varie selon la vitesse du bateau et le type d’ancre flottante.
Ensuite pour diriger le bateau il “suffit” de ramener l’ancre flottante du côté où vous voulez tourner en vous aidant du winch sur lequel vous avez ramené l’écoute.
Cette technique est réellement éprouvée, et présente l’avantage de pouvoir être mise en œuvre sur tous les voiliers, même un voilier de location.
En effet l’ancre flottante peut-être remplacée par un savant emmêlage de bouts, ou une ancre reliée à des pare-battages pour qu’elle ne plonge pas trop.
Quant aux poulies ouvrantes, il n’est pas certain que vous en ayez à bord, mais vous pouvez démonter d’autres poulies ou vous servir d’un taquet en guise de poulie de renvoi.
Il ne vous manquera donc qu’un émerillon, à glisser dans votre sac de skipper avec votre tablette avant de partir.
Les points de vigilance
Les nombreux témoignages et essais disponibles en ligne montrent que chaque bateau et chaque type de traînard demande des ajustements spécifiques.
- La mise à l’eau et la récupération du dispositif nécessitent de manipuler des longueurs de bouts importantes, avec le risque de les prendre dans vos jambes ou dans l’hélice.
- Le ragage sera votre ennemi: il faudra surveiller régulièrement tous les points de fixation et de renvoi.
- L’équilibre sous voile et/ou au moteur peut vous demander beaucoup d’essais avant de trouver la configuration la plus efficace.
- La traînée doit être bien dosée, avec une longueur de bout et un lest adaptés à votre vitesse et à la force du vent.
L’idéal serait donc de tester votre configuration personnelle par petit temps au moteur puis avec du vent soutenu avant d’en avoir réellement besoin.
Des ancres flottantes spécialement conçues pour diriger un bateau sans gouvernail
Il existe sur le marché des ancres flottantes qui ont été conçues exprès pour cet usage, en plus de leur fonction initiale qui est, petit rappel, de ralentir le voilier en fuite au portant ou à la cape.
C’est le cas des ancres flottantes Gale Rider et Shark. Ces 2 traînards ou “drogue” en anglais, ont fait l’objet d’essais et de présentations assez poussées que vous pouvez retrouver sur Youtube.
Si vous envisagez d’en acheter une (entre 600€ et 1100€) contactez le vendeur pour connaître la taille de l’ancre qui convient à votre bateau. Trop grande elle freinera trop le bateau, trop petite elle sera sans effet.
Mais le témoignage le plus détaillé que j’ai trouvé est celui de Sailing Triteria.
Son skipper a parcouru 1000 milles en solitaire dans le Pacifique, en utilisant une ancre flottante après avoir perdu son gouvernail.
Il illustre parfaitement les nombreuses difficultés d’adaptation auxquelles il a été confronté, soulignant une fois de plus l’importance de s’exercer un minimum à ce type de manœuvre avant de se retrouver dans une situation critique.
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De la difficulté de tout prévoir AVANT le départ
Nous voici au terme de ce tour d’horizon des solutions en cas de perte ou de casse du gouvernail. Pour être honnête, je n’avais pas encore assez réfléchi à ce sujet avant d’échanger avec un abonné qui avait testé l’ancre Gale Rider.
Cet échange m’a rappelé à quel point préparer une croisière exige une vigilance constante. Avec tant de choses à organiser, il est facile de négliger des aspects essentiels de sécurité comme celui-ci.
Mes recherches, nourries par des récits de mer, des podcasts et des discussions avec d’autres navigateurs, m’ont permis d’explorer trois grandes stratégies : réparation de fortune, redondance et entraînement. Ces pistes vous offrent des solutions concrètes et adaptées à différentes situations.
J’espère que cet article vous aura inspiré des idées à tester, et pourquoi pas des envies de bricolage.
De mon côté, je vais expérimenter la technique de l’ancre flottante sur mon propre voilier. Je partagerai cette expérience dans une vidéo détaillée, et promis, je vous tiendrai informés !
D’ici là, gardez le cap, et croisez les doigts pour ne jamais avoir à mettre ces conseils en pratique. Mais si un jour vous perdez votre safran, vous saurez comment garder la main 😉.
Bonnes navigations!
4 Comments
Eric
Bonjour
Lorsque l’on perd le safran, il y a de grandes chances que cela provoque une voie d’eau importante.
Une solution peu connue pour résoudre ce problème est d’utiliser un prélard. C’est une toile (n’importe quelle voile fera l’affaire) que l’on glisse sous la coque par l’extérieure. La pression de l’eau sur le tissu va plaquer la toile sur la voie d’eau et l’étancher quasiment totalement. (Je l’ai expérimenté avec une rablure ouverte sur 2m sur un Pirate (équivalent d’un Corsaire) en contrplaqué. J’ai pu rentrer au port au moteur. )
Une variante sur le système du trainard consiste à fixer solidement le tangon de spi perpendiculairement à l’axe du bateau au niveau du balcon arrière. Deux poulies fixées sur les machoires du tangon permettent de fabriquer un vas-et-viens qui permet de déplacer latéralement un trainard (un seau à béton où l’on a remplacé l’anse par une solide pâte d’oie peut faire l’affaire) d’un bord à l’autre; les efforts sont beaucoup moins importants.
Une variante à la godille est la godille chinoise (courbe et dont la poignée est reliée au pont par un cordage vertical). Cela marche beaucoup mieux et avec moins d’effort.
Eric
Katell
Merci Eric pour ce complément, je n’ai jamais vu pratiquer la godille chinoise. Pour le tangon c’est ce que fait le skipper de Sailing Triteia dans la video que j’ai mentionnée.Son expérience est très utile pour se rendre compte des difficultés.
Philippe
Article intéressant, dont je me ferais l’écho auprès des ministes lors des contrôles sécu.
Concernant mon voilier, Django 980 bi-safran, je me rassure en considérant de cette redondance permettra de rejoindre un abri.
Philippe
Katell
Merci Philippe. Espérons que les orques soient monosafran 🙂