Naviguer sans savoir nager : 9 raisons d’oser l’aventure

Quand un lecteur du blog m’a posé la question, j’ai dû cligner des yeux pour m’assurer que je lisais bien : « Peut-on apprendre à naviguer si on ne sait pas nager ? ».

Étrangement, cette interrogation m’avait échappée. Et je parie que pour la plupart d’entre vous aussi. Je n’ai jamais vraiment demandé à mes équipiers s’ils savaient battre des pieds dans l’eau, sauf naturellement s’il s’agissait de moussaillons.

Le sujet n’est pourtant pas si anodin. De nos jours, nous trouvons si évident qu’un marin sache nager, comme s’il s’agissait d’une seconde nature. Il est vrai qu’à l’école, puis à l’école de voile, on nous a quasiment tous obligés à sauter dans le grand bain. Mais vous allez voir que la réalité résiste à ce genre d’évidence.

Beaucoup plus de gens que vous ne le croyez ne savent pas nager. Plus grave encore: parmi eux se trouvent de nombreux marins professionnels ou plaisanciers. Le pire du pire? Vous avez très probablement navigué avec des non-nageurs, sans le savoir!

Les navigateurs ne savent donc pas tous nager et ça ne date pas d’hier.

Pourtant ils vont quand même en mer, voici leurs raisons, et peut-être les vôtres!

1.Les marins du 17e siècle évitaient d’apprendre à nager

Pour comprendre, faisons un saut dans le temps, directement au 17e siècle. Là, nous découvrons que les marins n’étaient pas nécessairement les meilleurs amis de la piscine.

Vous pourriez être choqués d’apprendre qu’à peine 1 à 2% des officiers de marine savaient comment se débrouiller face à une grosse vague. Pourquoi donc? Eh bien, les bateaux de l’époque étaient lents, lourds et peu manœuvrant. Faire demi-tour pour un homme à la mer prenait un temps considérable. Sans positionnement précis du lieu de la chute, le sort de l’infortuné était souvent scellé. Beaucoup de marins préféraient donc ignorer la nage, évitant ainsi une longue souffrance s’ils tombaient à l’eau.

Cependant, cette relation ambiguë entre les marins et la nage ne se limite pas à l’histoire ancienne.

2.La mer offre des leçons de survie incroyables, même aux non-nageurs.

De nos jours, dans plusieurs coins du monde, des pêcheurs professionnels ne sont pas à l’aise avec la nage, malgré les risques associés à leur métier. Prenons l’histoire incroyable de Romualdo Macedo Rodrigues. Ce pêcheur brésilien a survécu 11 jours en pleine mer, à la dérive dans un gros congélateur, après avoir perdu son bateau. Or ce qui rend son histoire encore plus fascinante, c’est qu’il ne savait pas nager…

3. Si Einstein pouvait naviguer sans être nageur, pourquoi pas vous?

Changeons de cap et parlons d’une figure qui a marqué l’histoire, mais pas pour ses exploits aquatiques. Albert Einstein, le prodige de la physique, avait un amour débordant pour la voile. Mais ce qui est encore plus surprenant, c’est que ce génie de la science n’avait pas le pied marin, du moins en matière de nage.

Cela ne l’a jamais empêché de survivre à quelques erreurs de navigation, ni de se laisser inspirer par les éléments: « La nature cache ses secrets parce qu’elle est sublime, et non parce qu’elle est rusée ».

4.Les pilotes ne savent pas voler (et Kersauzon ne sait pas nager)

Si un jour vous croisez Olivier de Kersauson en train de barboter au bord d’une piscine, prenez une photo, car c’est probablement aussi rare qu’une éclipse solaire !

Lorsque ce navigateur de légende a admis ne pas savoir nager à la radio, beaucoup ont éclaté de rire. « Et les pilotes, ils ne savent pas voler », a-t-il ajouté, avec cette ironie si caractéristique. Qui aurait cru qu’un tel titan des océans serait plus à l’aise sur un pont qu’en pleine mer ? Mais peut-être Kersauson a-t-il simplement compris qu’en cas de pépin, il pourrait toujours compter sur ses amis les poulpes.

Rappelez-vous : un de ces tentaculaires compères a déjà stoppé son trimaran pendant une tentative de remporter le Trophée Jules Verne. Etait-ce un signe d’affection ou une invitation à une danse sous-marine ? Une chose est sûre, Kersauson nous rappelle que la mer est pleine de surprises, et lui-même en est une belle illustration.

5. Un français sur 6 ne sait pas nager

Une vidéo de Brut l’a rappelé en 2018: un Français sur six ne sait pas nager. Un chiffre qui peut étonner, voire même choquer certains. Et pourtant, entre dispenses de sport, manques de cours ou d’autres circonstances, nombre d’entre nous n’ont jamais plongé dans l’apprentissage de la nage.

La question se pose donc : combien parmi ces non-nageurs ont posé le pied sur un voilier ou ont même osé naviguer? Ils sont probablement plus nombreux que nous le pensons.

6. La peur de l’eau n’empêche pas le bonheur de naviguer.

Vous vous posez peut-être la question : comment un marin peut-il avoir peur de l’eau ? Kito de Pavant, malgré sa brillante carrière maritime, nous a fait une révélation surprenante lors d’une interview sur France Bleu : « J’ai horreur de l’eau. Je ne prends aucun plaisir dans l’eau et j’ai même peur de l’eau. »

Cet aveu étonnant vient d’un homme qui a remporté la Solitaire du Figaro, couru 8 fois la Transat Jacques Vabre, participé à 3 Vendée Globes et autant de fois à la Route du Rhum. Cela nous pousse à repenser nos idées préconçues. Est-ce que l’amour de la navigation ne réside pas parfois ailleurs que dans l’amour de l’eau ?

Pour tous ceux qui hésitent à prendre le large à cause de cette appréhension, prenez inspiration de Kito. La voile est synonyme de liberté, d’aventure, de dépassement de soi et de communion avec la nature, sans nécessairement impliquer une passion pour la baignade. Et, juste pour la petite piqure de rappel : malgré sa peur, Kito a appris à nager. Qu’en est-il pour vous ? Bon, promis, je n’insiste pas davantage ; ce n’est pas le cœur du sujet aujourd’hui 😉

7. Vos compétences en navigation seront plus valorisées que votre capacité à nager

Comme l’a dit Kersauzon à sa manière, savoir nager n’est pas la première compétence requise à bord d’un voilier. Bien sûr, il est rassurant (et préférable) de se savoir capable de flotter si on chute à l’eau. Mais ce qui compte avant tout, c’est de savoir maîtriser les voiles, anticiper les vents, comprendre la météo et éviter les hauts-fonds.

D’ailleurs les marins aguerris ne se vantent pas de leurs compétences aquatiques mais plutôt de leurs talents de navigation.

8. Même la fédération française de voile s’adapte aux non-nageurs.

Dans mon adolescence, un certificat de 25m de nage libre était le sésame pour accéder aux joies des sports nautiques en club. Mais les temps, tout comme nos perceptions, évoluent – et non, je ne parle pas de la disparition des dinosaures !

Depuis 2015, un changement majeur s’est opéré. Si un stagiaire ne réussit pas les tests d’aisance aquatique, il n’est pas laissé pour compte. Au contraire, il peut toujours s’adonner à la voile, pourvu que des mesures de sécurité renforcées soient en place. C’est une aubaine pour ceux qui ont une phobie de l’eau, pour les personnes en situation de handicap ou tout simplement pour ceux qui n’ont jamais appris à nager. Ils peuvent désormais hisser les voiles aux côtés de leurs amis.

C’est une démarche résolument inclusive de la part de la FFV. Alors, si une institution aussi prestigieuse peut évoluer en ce sens, pourquoi pas le reste d’entre nous? Pourquoi priver notre équipage de talents potentiels simplement parce qu’ils ne savent pas nager?

9. La sécurité peut facilement être adaptée pour les non-nageurs

Si on réfléchit bien, il n’y a pas beaucoup de différence en termes de mesures de sécurité à appliquer aux uns et aux autres. Il s’agit simplement d’imposer le port du gilet plus tôt, voire tout le temps aux non-nageurs. Comme c’est le cas pour les enfants, et à bord des voiliers-école. A juste titre…

La question vous paraît un peu douloureuse? j’en parle dans cet autre article Naviguer en voilier: l’importance cruciale du gilet de sauvetage

En réalité, le vrai problème est ailleurs…

L’aveu qui peut sauver des vies

Il y a des aveux qui pèsent lourd, ceux qu’on murmure à voix basse, de peur du jugement des autres. Ne pas savoir nager, c’est pour certains l’équivalent d’un tabou, d’une tare inavouable. Et pourtant, on se le cache parfois à soi-même. Comme le confie un internaute sur un forum : « Après avoir passé toute ma vie à faire croire à tout le monde que je savais nager, j’ai l’impression moi même de savoir nager. »

Dans une société où être à l’aise dans l’eau est souvent considéré comme acquis, une compétence fondamentale, dévoiler son incapacité à nager peut être vu comme une vulnérabilité. Cette pression sociale est d’autant plus présente dans le monde de la navigation où l’eau est omniprésente. Dans cet univers, l’inaptitude à nager semble presque inconcevable.

La question cruciale : l’avez-vous posée ?

Parlons franchement. Chers skippers, pensez-vous systématiquement à demander à chaque membre d’équipage s’il sait nager ? Pourtant, cette simple question peut faire une grande différence. Si vous ne la posez pas, qui le fera ?

Ce qui m’amène à une anecdote mémorable lors d’un séjour aux îles Scilly, à Pâques. L’eau était froide, et le courant particulièrement fort ce jour-là. Un de mes équipiers, un gaillard bien bâti, refusait obstinément de porter un gilet de sauvetage pour monter à bord de l’annexe. J’ai beau être une femme déterminée, j’ai tout de même des limites physiques !

Face à son refus, je lui ai posé une question toute simple : « Penses-tu sincèrement que si tu tombais à l’eau, je pourrais te hisser à bord avec mes petits bras musclés? » Après un moment de réflexion et un léger sourire en coin, il a enfilé son gilet. Parfois, une pointe d’humour suffit pour remettre les choses en perspective !

Alors, si vous ne savez pas nager, n’hésitez pas à le dire. Même si cela semble difficile, votre sécurité est primordiale.

Skippers et équipiers, il est de votre responsabilité de poser cette question essentielle. Vous seriez surpris de savoir combien d’amoureux de la mer ne savent en réalité pas nager.

Et vous, avez-vous déjà rencontré une situation similaire ? Partagez vos expériences en commentaires et n’hésitez pas à faire circuler ce message dans votre communauté nautique!