Apprendre à naviguer,  navigation électronique et météo

7 prédictions inconfortables pour l’avenir de la croisière en voilier


Vous aimez la croisière en voilier pour une raison très simple. 

Parce qu’en mer, vous reprenez la main. Vous choisissez votre rythme, votre route, vos silences. Vous avez l’impression d’échapper au monde moderne et à ses injonctions.

Et si je vous disais que ce monde moderne est déjà monté à bord?

Discrètement. Sans faire de bruit. 

Il n’arrive pas avec des vagues de trois mètres.

Il vient avec des panneaux, des clauses, des bips, des écrans, des bouées, des vérifications, des habitudes qui se dégradent.

Et surtout avec une idée pernicieuse. Vous faire croire que vous êtes plus libre, tout en vous rendant plus dépendant.

Alors voici sept prédictions inconfortables. 

Pas pour faire peur. Pour éviter le pire scénario.

Celui où vous subissez., où vous vous fatiguez.

Celui où vous perdez, petit à petit, ce qui fait la beauté de la croisière.

Si vous tenez à votre liberté, lisez la suite.

Pour chaque prédiction, je vous donne une parade facile à exécuter, que vous pouvez mettre en œuvre dès aujourd’hui.

1. Le mouillage libre va devenir une exception, pas la règle

Après une navigation sportive, vous arrivez dans une anse parfaite. L’eau est turquoise, le fond est sableux, le vent est pile comme il faut. Vous avez déjà le sourire du capitaine qui va enfin boire un café chaud sans se faire secouer comme un shaker.

Puis vous voyez le premier panneau.

Un deuxième panneau.

Puis la bouée “écologique” qui n’est pas pour vous, sauf si vous avez réservé quand vous aviez du réseau… et que le site n’était pas en maintenance.

Alors vous ouvrez une appli. Puis une autre.

Puis vous découvrez qu’il existe une version “pro” qui, elle, vous explique très précisément pourquoi vous n’avez pas le droit.

Et là, petit frisson. Vous n’êtes plus en train de choisir un mouillage. Vous êtes en train de négocier un accès. C’est subtil, mais c’est un vrai changement de monde.

Le piège

Le mouillage “je jette l’ancre parce que c’est beau et sûr” va devenir moins évident. Pas partout, pas tout le temps, pas d’un seul coup. Mais suffisamment souvent pour que votre manière de préparer change.

La cause officielle est souvent légitime. Il y a des herbiers à protéger, des fonds fragiles, des zones sur-fréquentées, des conflits d’usage, des dégâts réels. La mer n’est pas un parking illimité, même si votre ancre a très envie de se baigner.

Le problème, c’est l’effet cumulé. Une zone ici, une restriction là, une saison “interdite” ailleurs, une obligation de bouées plus loin. Et au final, votre liberté se fait grignoter par des détails.

Le signe qui ne trompe pas, c’est la multiplication des contraintes.

Avant, vous lisiez la carte, vous regardiez le ciel, vous évaluiez la tenue, vous preniez une décision. Maintenant, vous devez parfois ajouter une contrainte administrative et une contrainte numérique. Et quand il y a beaucoup de contraintes, la simplicité disparaît. Ce qui disparaît ensuite, c’est le calme.

Le risque concret n’est pas “vous allez finir en prison pour avoir mouillé à trois mètres d’une algue”. Le risque concret, c’est la navigation dégradée.

Vous arrivez plus tard parce que vous avez cherché un plan b, puis un plan c, puis un plan d.

Alors vous retrouvez à mouiller dans un endroit moins abrité parce que l’endroit idéal est interdit. Et vous vous entassez avec d’autres bateaux qui ont eu la même idée, en mode “festival de l’ancre”.

Ou bien vous hésitez trop longtemps, vous tournez, vous fatiguez l’équipage, et finissez en marina, à couple de quatre bateaux, juste pour que ça s’arrête.

La parade en 3 actions

Alors on fait quoi, sans râler comme un vieux gréement?

Première idée: Le mouillage n’est plus seulement une compétence technique. C’est aussi une compétence de stratège.


Deuxième idée:La liberté ne se défend pas en disant “on n’a plus le droit de rien”. Elle se défend en devenant plus malin que le système, sans le défier

Action 1: Constituez une liste de mouillages “bis”.

Pas les plus beaux selon Instagram, les plus fiables. Ceux où vous pouvez arriver fatigué, avec un grain qui approche, et quand même dormir.

Si vous voulez une base simple (et surtout pratique) pour dormir tranquille à l’ancre, j’ai regroupé ici 7 secrets pour un mouillage réussi — ceux qui évitent la “nuit shaker” et les départs en catastrophe.


Action 2: Préparez toujours un plan b explicite avant d’entrer dans une zone convoitée.

Pas “on verra”, un vrai plan b avec une option de repli simple et sûre.

Action 3: Transformez le plan b en réflexe d’équipage. Faites en un jeu. Quand quelqu’un dit “on va là, ça a l’air trop bien”, répondez “Parfait, et quel est notre plan b”. Dites-le comme une blague. Dites-le jusqu’au jour où tout l’équipage répond spontanément. Ce jour-là, vous venez de gagner en sécurité sans faire la moindre leçon.

À faire maintenant:

 – Notez trois mouillages bis dans votre zone de navigation, avec leurs conditions “ok” et “non”.
– Décidez d’une règle simple de repli: “si à telle heure ce n’est pas calé, on bascule sur le plan b”.
– Entraînez l’équipage à formuler le plan b à voix haute avant l’arrivée.

Mais le plus sournois, ce n’est pas le mouillage qui se ferme. C’est le moment où vous découvrez que votre itinéraire peut se décider… sur un devis.

2. L’assurance va discrètement choisir vos itinéraires

Mettons que vous entreteniez votre bateau.

Vous naviguez prudemment. Vous n’avez pas transformé votre voilier en dragster. Et pourtant, un jour, vous recevez un devis.

Et là, vous découvrez que votre assureur a une passion soudaine pour la poésie. Il écrit des phrases très longues, avec des mots très sérieux, qui veulent dire une chose très simple:

“Nous vous aimons beaucoup. Mais pas partout.”

Le piège

L’assurance ne va pas seulement couvrir votre navigation. Elle va de plus en plus influencer votre navigation. Par le prix, par les franchises, par les exclusions, par les zones, par les périodes. Sans vous interdire quoi que ce soit, mais en vous rendant certaines options franchement moins séduisantes.

Pourquoi ça arrive

Parce que le risque change, et que la manière de le financer change aussi. Les événements météo causent de plus gros dégâts. Certaines zones deviennent plus chères à couvrir. Et quand un secteur devient nerveux, il se met à trier.

Le signe qui ne trompe pas, c’est le glissement des petites lignes.

Avant, vous regardiez surtout le prix. Maintenant, vous devez lire les conditions comme un roman policier. Un mauvais polar où le meurtrier, c’est souvent le paragraphe “exclusions”.

D’ailleurs si vous voulez gagner du temps (et éviter les pièges les plus fréquents), j’ai fait un guide complet sur l’assurance bateau : zones, exclusions, franchises, et erreurs qui coûtent cher.

Les scénarios concrets que vous risquez de voir plus souvent.

Premier scénario : La zone “oui, mais”.

Vous êtes assuré, oui. Mais pas au-delà de telle latitude. Pas pendant telle saison. Ni si vous êtes seul à bord. Et surtout pas si votre bateau a plus de tant d’années sans expertise récente.

Deuxième scénario : La franchise “pédagogique”.

Vous pouvez naviguer, bien sûr. Mais si vous cassez, vous apprenez la vie à coups de milliers d’euros. C’est une méthode de développement personnel assez radicale.

Troisième scénario : L’obligation de preuves.

Ce n’est pas “vous n’avez pas le niveau”. C’est “prouvez-nous que tout est à jour”. Expertise, factures, photos, entretien, checklists, équipements, dates. La bonne nouvelle, c’est que ça rend aussi le bateau plus sûr. La mauvaise, c’est que ça surprend toujours quand on ne l’a pas anticipé.

Le risque concret n’est pas seulement de payer plus.

C’est de perdre votre liberté de décision.

Vous commencez à choisir votre route en fonction de ce qui est “assurable”, plutôt qu’en fonction de ce qui vous fait rêver le plus.

Vous repoussez une navigation parce que vous n’êtes pas certain d’être couvert.

La parade en 3 actions

La question qui fâche : est-ce que vous préparez vos navigations pour la mer, ou pour un contrat?

Action 1 : Traitez votre assurance comme un équipement de sécurité, pas comme un prélèvement automatique.

Relisez votre contrat une fois par an, calmement, café à la main. Pas la veille du départ.


Action 2 : Constituez un dossier bateau minimaliste et prêt à dégainer.

Dates d’entretien clés, photos propres des éléments importants, factures utiles, liste d’équipement à jour. L’objectif n’est pas d’être parfait, c’est d’être rapide et serein.

Action 3 : Anticipez les zones et saisons “sensibles”.

Si vous rêvez d’un itinéraire un peu engagé, n’attendez pas le dernier moment. Appelez, vérifiez, négociez. Et parfois, changez d’assureur, parce que l’assureur, lui, ne changera pas d’avis par magie.

À faire maintenant

Relisez les trois paragraphes qui comptent vraiment : zones, saisons, exclusions.
– Notez vos deux franchises principales et ce qu’elles impliquent “en vrai”.
– Créez un dossier “assurance voilier” avec 10 photos utiles et vos factures clés.


Vous allez découvrir que ma prochaine prédiction ne sentira pas le gasoil.

Elle clignotera en rouge à 2 h du matin.

3. La grande panne ne sera plus mécanique, elle sera électrique

Si vous vous y reconnaissez, laissez-moi un petit commentaire 😅

Le moteur tousse. Il fume, il fait un bruit de casserole, puis il s’arrête. Vous soupirez, vous vous dites “bon”. Et au fond, c’est presque confortable, parce que c’est une panne “compréhensible”. Il y a du gasoil, de l’air, une pompe, un filtre. Ça sent mauvais, mais ça parle.

Le nouveau scénario est beaucoup plus moderne.

Tout marche très bien. Puis il y a un bip.

Puis un autre bip.

Suivi d’une alarme visuelle, en rouge, qui n’explique rien.

Enfin, l’écran qui monitore tous vos systèmes électroniques devient noir.

Et là, vous découvrez une vérité un peu vexante. Votre voilier est devenu une petite usine, avec des systèmes interconnectés, high tech… mais avec le même niveau de documentation qu’une notice de meuble en kit.

Le piège

La panne qui gâche une croisière ne sera pas forcément mécanique.

Ce sera la panne en cascade.

Celle où vous perdez plusieurs fonctions en même temps. Pas parce qu’elles sont toutes cassées, mais parce qu’elles dépendent d’un même maillon. Un coupe-circuit, un chargeur, un régulateur, une batterie, un bus de données, une masse, un câble fatigué, un paramètre mal réglé.

Pourquoi ça arrive

Parce que vous embarquez de plus en plus d’éléments de confort. Frigo, pilote, dessalinisateur, convertisseur, Starlink, écrans, radar, chauffage, winchs électriques, etc.

L’énergie devient le cœur du bord. Le bateau peut avancer sans beaucoup d’électronique. Mais il ne peut plus “fonctionner” comme vous en avez l’habitude sans électricité.

Le signe qui ne trompe pas, c’est la dépendance invisible.

Avant, un appareil tombait en panne, le reste continuait. Aujourd’hui, un élément central tombe en panne, et c’est tout un pan de votre routine qui s’effondre.

Et la fatigue arrive vite, parce que tout redevient manuel en même temps. Barre, mouillage, manœuvres, navigation, eau, lumière, communication. C’est la soirée “retour au dix-neuvième siècle”, mais sans bougies parfumées.

Le risque concret n’est pas seulement l’inconfort passager. C’est de perdre la clarté. Quand plusieurs équipements tombent en panne, on se met à courir partout. On tripote, on redémarre. On “tente un truc”. Ce qui aggrave généralement la situation.

La mer adore quand on “tente un truc”. Elle vous attend au tournant.

La question qui fâche : est-ce que vous savez encore naviguer quand l’écran devient noir? Et surtout, est-ce que vous savez distinguer ce qui est vital, de ce qui est juste habituel?

La parade en 3 actions

Préparez votre mode dégradé avant d’en avoir besoin.

D’ailleurs, si votre mode dégradé inclut “plus d’internet, plus de grib, plus de mise à jour magique”, voici un guide très concret pour prendre la météo Comment prendre la météo en mer sans Starlink ni 4G (et continuer à décider proprement).

Action 1 : Définissez votre minimum vital.

Qu’est-ce qui doit absolument fonctionner pour être en sécurité. La barre et les voiles, évidemment. Mais aussi une navigation minimale même sans cartographie, une communication minimale à la vhf, une capacité à mouiller et à repartir, une lumière de navigation si vous risquez d’être dehors la nuit. Le reste, c’est du confort, et on l’accepte comme tel.


Action 2 : Faites un exercice une fois par saison.

Coupez volontairement ce qui vous “assiste”.

Pas dans le mauvais temps, pas au milieu d’un rail, mais dans une journée tranquille.

Naviguez une heure sans pilote.

Préparez un mouillage en vous disant “et si je n’avais pas l’écran? ”.

Vérifiez que vous avez une méthode simple pour suivre votre position.

Testez votre vhf.

Prenez ces exercices comme un jeu, un “serious game”, pour éviter de pimenter involontairement vos navigations.


Action 3 : Clarifiez votre architecture et vos points critiques.

Vous n’avez pas besoin d’être électronicien, mais vous devez pouvoir répondre à des questions simples. Où est la source principale? Où sont les coupe-circuits? Comment se fait la charge? Qu’est-ce qui charge quoi? Quels sont les fusibles critiques? 

Le but n’est pas de tout réparer en mer. Le but est de ne pas paniquer, et de diagnostiquer assez pour prendre une bonne décision.

À faire maintenant

 – Écrivez votre “minimum vital” sur une note, et collez-la dans un endroit visible à bord.
– Repérez et étiquetez les trois coupe-circuits ou fusibles qui peuvent vous mettre à genoux.
– Testez une fois (en conditions faciles) une heure sans pilote, et une vérification VHF.

Petit cadeau au passage. Voici la règle des “3 secours” qui sauve des croisières. Ayez toujours trois solutions simples et indépendantes pour : la lumière, la position, et la communication. Pas parfaites. Juste suffisantes. Le reste peut tomber en panne. Pas ça.

Même quand tout fonctionne, il reste un risque plus silencieux. Celui qui vous rend très performant sur le papier… et un peu moins marin dans la réalité. Il suffit d’un écran pour ça.

4. Le bateau connecté va vous rendre plus vulnérable

Si vous avez un équipier qui regarde l’écran avant de regarder dehors, ce point-ci est pour lui.

Vous l’avez peut-être déjà senti. Vous avez de plus en plus d’informations, de plus en plus tôt, de plus en plus précises.

Le vent réel, le vent apparent, la tendance, la rafale, la moyenne, la rafale de la rafale. La météo en pas de trois heures, puis en pas d’une heure, puis “quasi en direct”.

Les alarmes de mouillage, de profondeur, de batterie, de tout. Et bientôt, à ce rythme, votre bateau va aussi vous alerter quand vous êtes de mauvaise humeur.

La promesse est séduisante. Moins d’incertitudes. Plus de confort. Des décisions plus rationnelles. Et parfois, c’est vrai. Un bon outil, bien utilisé, c’est aussi ça la sécurité en mer.

Le piège

La prédiction, elle, est plus inconfortable. Le bateau connecté va vous « augmenter »… mais il risque de vous fragiliser, si vous ne posez pas de règles.

Parce que l’information n’est pas la décision. Et parce que l’accumulation d’informations peut vous donner l’illusion de contrôle.

Le signe qui ne trompe pas n’est pas la technologie. C’est votre comportement.

Vous le voyez quand vous vous surprenez à regarder l’écran avant de regarder dehors.

Quand vous suivez la carto aveuglément alors que la mer déferle sur un banc de sable, droit devant.

Lorsque vous attendez une mise à jour météo au lieu de prendre un ris.

Et ça, c’est le début d’un glissement. Vous mettez vos compétences en veille. Comme un muscle qu’on n’utilise plus. Au début, tout va bien. Puis le jour où l’écran s’éteint, ou le jour où il se trompe, vous réalisez que votre cerveau a pris de mauvaises habitudes.

Le risque concret est double.

Premier risque : L’érosion du jugement marin.

Le sens marin, ce n’est pas “avoir des infos”. C’est savoir quoi en faire, et surtout savoir quand ne pas leur obéir.

C’est la capacité à sentir qu’un plan est théoriquement correct mais pratiquement idiot.

Aucun écran ne peut le faire à votre place.

Deuxième risque : La fatigue décisionnelle.

Plus vous avez de données, plus vous pouvez douter. Plus vous doutez, plus vous vérifiez. Et plus vous vérifiez, plus vous vous épuisez.

Or l’épuisement est le meilleur ami de l’erreur.

D’ailleurs si vous sentez que vous vous “noyez” dans les applis et les écrans, j’ai listé dans Mes applications de navigation en mer celles que j’utilise — avec un parti pris clair : la simplicité.

La question qui fâche: est-ce que vous manœuvrez un voilier, ou est-ce que vous pilotez une interface?

La parade en 3 actions

Ou comment rester maître à bord.

Action 1 : D’abord dehors, ensuite dedans.

Avant de regarder un écran, imposez-vous deux minutes de lecture du réel. Ciel, mer, voiles, assiette, trafic, bruit, odeur, humidité, température. Vous seriez surpris de tout ce qu’on sait sans une seule donnée numérique. Et après seulement, vous allez vérifier. Pas l’inverse.


Action 2 : Un écran ne décide pas. Il propose, vous décidez.

Voilà, on remet votre cerveau au centre. Vous pouvez même verbaliser. “L’outil dit ça. Moi, je choisis ça.” C’est une manière élégante de rester capitaine, et pas utilisateur.

Action 3 : Moins d’alarmes, mieux choisies.

Si tout bippe, plus rien n’alerte. Sélectionnez les alarmes qui protègent vraiment.

Le reste, surveillez-le par routine. Sinon, vous vivez dans un parc d’attractions où chaque manège hurle en permanence… et votre cerveau finit par se dire “bof”, ce qui est un mécanisme très humain, mais très mauvais en mer.

Le voilier connecté, c’est un peu comme un ami très anxieux. Il veut vous aider, mais il commente tout. Et si vous l’écoutez trop, vous finissez par ne plus dormir.

À faire maintenant

– Décidez d’une règle “dehors avant dedans” et tenez-la pendant une navigation entière.
– Coupez ou baissez la moitié de vos alarmes non vitales, et remplacez-les par une routine de vérification.
– Écrivez une phrase et gardez-la en tête : “l’écran propose, je décide”.


Et comme si ça ne suffisait pas, le futur vous vend déjà la solution ultime. Aller plus vite, plus à plat, plus confort. En un mot : voler. Mais à quel prix.

5. Le foil va créer deux mondes

Il y a une image qui fait rêver, même les marins les plus raisonnables.

Un voilier qui file à plat, qui “vole”, qui avale les milles sans gîte, sans bruit, avec cette sensation de glisser au-dessus des problèmes.

C’est très humain.

Quand on a passé des heures à faire du près dans une mer courte, l’idée de survoler la réalité devient soudain très désirable.

La promesse du foil en croisière, c’est ça. Aller plus vite, plus loin, avec plus de confort. Et il y a un vrai fond de vérité. Sur certaines allures, dans certaines mers, avec certains bateaux et certaines équipes, les gains peuvent être impressionnants.

Le piège

La prédiction inconfortable, c’est la suivante. Le foil ne remplacera pas la croisière classique. Il va créer deux mondes. Deux manières de naviguer, deux budgets, deux cultures, parfois deux niveaux de risque. Et comme souvent, ce n’est pas la technologie qui divise. C’est ce qu’on croit qu’elle permet de faire “sans payer le prix”.

Le signe qui ne trompe pas, c’est le glissement du discours.

On ne vous vend plus seulement une performance. On vous vend une performance “facile”.

Un saut technologique qui ferait sauter les contraintes. Et là, il faut être prudent, parce que la mer adore se moquer des promesses qui disent: “facile !”.

Les questions très concrètes qui arrivent derrière le rêve.

1. Dans quelles conditions ça marche vraiment?

Parce que le foil, ce n’est pas magique, c’est conditionnel. Ça dépend de l’état de mer, du vent, de la charge, de l’équilibre, de l’allure, du réglage, de l’équipage.

À bord d’un voilier de croisière, on a rarement une équipe dédiée, un bateau léger, et une mer parfaite. On a plutôt des équipiers qui veulent déjeuner, des coffres bien remplis, et une houle de travers qui n’a pas demandé votre avis.

Accessoirement on peut aussi rencontrer des baleines qui roupillaient sans rien demander à personne…

2. Qui entretient ?

Un bateau de croisière, vous pouvez le comprendre, l’entretenir, le bricoler, et survivre à des pannes. Avec des systèmes plus complexes, l’entretien demande plus de méthode, plus de pièces, plus de compétences, plus de budget. Et quand on parle de croisière, le vrai luxe, ce n’est pas d’aller vite. C’est de réparer facilement.

3. Quelle tolérance à l’erreur?

La croisière classique est relativement tolérante. Vous pouvez faire une bêtise, et elle sera souvent rattrapable.

Plus vous augmentez la vitesse et la complexité, plus vous réduisez la marge. Et en mer, la marge, c’est la paix intérieure. Sans marge, vous naviguez tendu. Et un plaisancier tendu fait des erreurs bêtes.

4. A quel prix?

Le coût d’un bateau, ce n’est pas que de l’argent. C’est son prix plus le temps, plus l’entretien, plus la disponibilité des pièces, plus les concessions que vous devez faire. C’est le prix en énergie mentale. Et ça, personne ne le met sur la fiche technique.

La question qui fâche : Vous voulez aller plus vite, ou vous voulez être plus serein?

Les deux sont possibles, mais rarement gratuitement et rarement en même temps.

La parade en 3 actions

Ne choisissez pas une technologie mais un programme de navigation.

Action 1 : Décrivez votre idée de la croisière en voilier, pas la Coupe de l’America. Quelle fréquence? Quel équipage? Quel niveau d’engagement? Quel type de mer?


Action 2 : Évaluez votre appétit pour l’entretien et la panne complexe. En temps, en énergie, en budget, et en capacité à trouver des solutions loin de votre chantier habituel.


Action 3 : Décidez ce que vous êtes prêt à sacrifier, réellement. De l’argent, de la simplicité, de la tolérance, ou du confort ? Si vous ne choisissez pas, la mer choisira pour vous.

À faire maintenant

 – Écrivez en une phrase ce qui vous plait le plus en navigation : “je veux pouvoir faire ___ avec ___, en restant ___”.
– Listez trois “non négociables” (réparabilité, tolérance à la panne, budget annuel, etc.).
– Posez la question qui tue avant d’acheter : “qu’est-ce qui se passe quand ça ne vole plus”.


Le plus drôle, c’est que pendant qu’on rêve de voler, le monde à terre, lui, rêve surtout de cases à cocher. Devinez qui va devoir sortir les papiers au moment le moins opportun?

6. La croisière entre dans l’ère de la preuve

Vous pouvez être un excellent marin. Vous pouvez savoir manœuvrer, anticiper, sentir la mer, gérer un équipage, et vous sortir d’un mauvais pas. Et malgré tout, dans les prochaines années, vous risquez de vous retrouver bloqué par quelque chose de beaucoup moins romantique. Un papier.

Le piège

On ne va pas forcément vous imposer du jour au lendemain un permis pour naviguer partout. En revanche, on va de plus en plus souvent vous demander de prouver ce que vous savez faire. Et on va le faire de manière plus standardisée, plus systématique, et plus vérifiable.

Le signe qui ne trompe pas, c’est la scène du comptoir, le contrôle de routine.

Vous arrivez confiant. Vous avez fait des milles. Avec même une anecdote très solide sur “ce jour où on a pris trente nœuds au près”. Et on vous répond : “Parfait. Votre permis. Votre CRR. Les originaux, s’il vous plaît.”

La légende du bord, c’est très bien. Mais le guichet préfère les tampons.

Pourquoi ça bouge dans ce sens?

Parce que dès qu’il y a de la responsabilité, du trafic, des bateaux chers, des équipages hétérogènes, et des risques coûteux, le système adore les cases. Les cases rassurent, simplifient. Les cases permettent de dire “on a fait notre part”.

Ce qui change vraiment, ce n’est pas l’existence des documents. C’est leur place dans votre liberté. Avant, c’était surtout un sujet pour la location à l’étranger.

Demain, ça deviendra un sujet de fluidité. De tranquillité en cas de contrôle. De crédibilité face à un assureur. Et de capacité à ne pas perdre une journée pour une histoire de justificatifs.

Le risque concret n’est pas seulement “on vous embête”.

C’est la friction qui vous fatigue, qui vous fait improviser, et qui peut vous pousser à des décisions médiocres. Un départ reporté. Un itinéraire modifié à la dernière minute. Un stress inutile. Et un équipage qui commence la croisière en mode “bon, ça commence bien”.

La question qui fâche: Est-ce que vous voulez être libre en mer, ou dépendre de l’humeur d’un contrôleur?

une file de skippers valident leurs papiers avant de démarrer leur croisière en voilier

La parade en 3 actions

Rendez la preuve facile.

Action 1 : Sécurisez le minimum vital administratif.

Si vous n’avez pas le permis côtier, passez-le. Si vous n’avez pas le crr, passez-le aussi. Ce duo, c’est le minimum vital administratif. Ce n’est pas ce qui fait de vous un bon marin, on est d’accord, mais c’est ce qui vous évite d’être un bon marin coincé à quai.


Action 2 : Prenez ces deux “papiers” pour ce qu’ils sont vraiment.

Le crr n’est pas décoratif. Il vous apprend à utiliser proprement la vhf, à dire les choses clairement, à ne pas polluer le canal 16, et à être efficace quand ça compte. Autrement dit, c’est de la sécurité.

Le permis côtier, au-delà de l’examen, c’est une remise à plat utile : règles de route, balisage, bases de sécurité. Même si vous savez déjà, ça remet en ordre.

Au passage, si vous décidez de passer au niveau au-dessus, ma formation Permis hauturier est pensée pour avancer sans y passer vos soirées : 20 minutes par jour pour le décrocher dans 6 semaines.


Action 3 : Évitez la friction qui plombe un départ.

Gardez vos documents accessibles et propres, et anticipez ce qui peut vous être demandé selon la zone, le loueur, ou l’assureur. L’objectif n’est pas de devenir bureaucrate. L’objectif est de ne pas commencer une croisière avec une épine dans le pied.

La liberté en mer se grignote par les détails. Et un des meilleurs moyens de garder la main, c’est d’être irréprochable sur le minimum. Comme ça, vous gardez votre énergie pour ce qui compte vraiment. Naviguer.

À faire maintenant

– Si vous ne les avez pas, planifiez le passage du permis côtier et du CRR.
– Mettez vos originaux et copies au même endroit, prêts à sortir en 30 secondes.
– Faites une mini révision vhf : canaux de communication dédiés, appels de détresse, message clair, et discipline radio.

À ce stade, vous vous dites peut-être : “D’accord, je m’équipe, je me forme, je mets tout au carré.” Parfait. Mais il reste une tentation qui fait craquer même les meilleurs élèves. Travailler depuis le bateau. La fausse bonne idée par excellence.

7. Travailler depuis le bateau, la fausse bonne idée

Sur le papier, c’est idyllique.

Vous travaillez le matin au mouillage. L’après-midi vous naviguez. Enfin vous admirez un coucher de soleil en envoyant deux mails “vite fait”.

Vous avez la mer, la liberté, et un revenu. Le rêve moderne. Le bureau flottant.

La réalité, elle, est souvent plus inventive.

Le piège

Dans les prochaines années, de plus en plus de plaisanciers vont tenter la double vie.

Croisière et travail. Navigation et réunions. Quarts et deadlines.

Et une bonne partie découvrira que c’est une fausse bonne idée. Pas parce que c’est impossible. Parce que c’est exigeant à un point que beaucoup sous-estiment.

Le signe qui ne trompe pas, c’est la fatigue.

Pas la fatigue “j’ai bien navigué”. La fatigue “j’ai dû être concentré toute la journée, et je n’ai jamais vraiment décroché”.

Parce qu’un voilier, ce n’est pas un appartement avec une vue. C’est un environnement qui réclame de l’attention, même quand tout va bien. Surtout quand on veut que tout continue d’aller bien.

Le piège numéro un, c’est la dilution de la vigilance.

Vous faites une visio pendant que le vent tourne.

Vous répondez à un message pendant qu’on approche d’un mouillage.

Vous “terminez un truc” alors qu’il faudrait préparer une manœuvre.

Rien de dramatique sur le moment. Mais ce sont des micro-erreurs, et les micro-erreurs sont les briques des grosses galères.

Le piège numéro deux, c’est le sommeil.

Le travail à bord pousse facilement à décaler. On se couche tard avec la lumière de l’écran dans les yeux. On se réveille avec des deadlines en tête.

Or en mer, le sommeil n’est pas un luxe. C’est une réserve de sécurité. Un marin fatigué n’est pas juste moins agréable. Il est moins lucide. Et la lucidité, c’est votre voile principale.

Le piège numéro trois, c’est l’équipage.

Parce que le bateau est un espace partagé. Si l’un est “au bureau” et l’autre “en croisière”, on crée une tension silencieuse. Celui qui attend et qui s’impatiente. Celui qui a l’impression de porter la navigation pendant que l’autre tape sur son clavier.

Peu à peu l’ambiance se dégrade sans qu’on sache exactement pourquoi. Jusqu’au moment où quelqu’un lâche une phrase du type : “On n’est pas venus ici pour ça.” Ce qui est généralement vrai.

Et si vous naviguez en couple, le partage des tâches n’est pas un détail : c’est souvent ce qui sauve l’ambiance… et la sécurité. J’en parle ici : naviguer à deux : qui fait quoi ?

La question qui fâche: Vous êtes venu en mer pour être libre, ou pour déplacer vos contraintes dans un décor plus joli?

La parade en 3 actions

Posez des règles très claires.

Action 1 :Faites le travail à l’escale autant que possible.

Même si la mer est magnifique, le cerveau travaille mieux à terre. Une table stable, une connexion stable, une vraie concentration. Deux heures efficaces à terre valent souvent six heures hachées à bord.


Action 2 : Faites des jours de mer des jours de mer.

Les jours de navigation ne sont pas des jours de travail. Ou alors uniquement en grande traversée, loin des côtes et des routes maritimes fréquentées. Ne négociez pas ça. C’est une question de sécurité.


Action 3 : Si vous travaillez en traversée, regroupez.

Ne “picorez” pas toute la journée. Bloquez des créneaux. Et en dehors de ces créneaux, soyez en mode mer. C’est bête, mais c’est ce qui rend la double vie vivable.

Alors protégez votre énergie comme un équipement de sécurité : heures de fin, jours off, et si vous sentez que ça dérape, vous coupez.

Travailler depuis le bateau n’est pas impossible. Mais ce n’est pas “travailler ailleurs”.

C’est travailler dans un environnement qui a son propre rythme et ses propres exigences. Si vous ne respectez pas ce rythme, vous perdez sur les deux tableaux. Vous naviguez mal, et vous travaillez mal.

À faire maintenant.

– Décidez d’une règle simple : “travail à terre, navigation en mer”, et annoncez-la à l’équipage avant le départ.
– Fixez des horaires de fin non négociables, comme si c’était une consigne de sécurité.
– Planifiez une escale “bureau” par semaine, courte mais ultra efficace.


Et c’est là que tout se rejoint. Parce qu’au fond, ces sept prédictions parlent moins de la mer… que de votre capacité à garder la main.

Garder la main

En lisant ces sept prédictions, vous allez peut-être vous dire : “Ça y est. La croisière en voilier devient compliquée, administrative, technologique, et un peu moins libre.” Et ce serait vrai… si la liberté dépendait du monde extérieur.

Mais la liberté en mer n’a jamais été un droit acquis. C’est une compétence, une manière de faire. C’est une lucidité.

La mer, elle, n’a pas changé. Elle continuera à récompenser la préparation, le bon sens, la simplicité, et l’humilité.

Ce qui change, c’est tout ce qu’il y a autour : les règles, les coûts, les outils, les habitudes, les distractions. Et ce “autour” peut vous enfermer… ou vous rendre meilleur. Ça dépend de la manière dont vous le laissez monter à bord.

La bonne nouvelle, c’est que vous pouvez vous adapter sans être un héros. Il faut surtout devenir plus méthodique.

Savoir ce que vous déléguez aux écrans et ce que vous gardez dans votre tête. Garder un bateau réparable, une énergie préservée, et des routines fiables. Ne pas subir les détails administratifs, mais les anticiper. Et ne pas confondre vitesse avec sérénité.

S’il ne devait rester qu’une seule idée, ce serait celle-ci : votre liberté ne disparaîtra pas parce que le monde change. Elle disparaîtra surtout si vous laissez vos compétences s’endormir.

Vous n’avez pas besoin d’un bateau plus intelligent. Vous avez besoin de muscler votre sens marin.

Bonnes navigations!


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